PARIS (MPE-Média) – Introduite par la sénatrice Sophie Primas (LR Yvelines, Présidente de la commission des affaires économiques du Sénat), l’audition par les sénateurs des dirigeants du groupe français Suez Philippe Varin (Pdt) et Bertrand Camus (Directeur général) confrontés à une offre publique d’achat de leur entreprise par le groupe Véolia avait lieu ce mardi 3 novembre.

Résumant la situation en ouvrant la séance d'audition du Sénat, Mme Primas leur a demandé notamment : « Quel point de l’offre de Véolia vous contestez ? À quoi ressemblerait une offre amicale ? »

Président de la commission du développement durable du Sénat, le sénateur Jean-François Longeot a ajouté d’autres analyses du conflit en cours entre les deux groupes français, et deux questions : « celle de la préservation des emplois du groupe Suez, au cœur de la transition écologiqe d’une part, celle de la bonne gestion de l’eau en France dont s’occupe aussi Suez ».

Prenant la parole à son tour, le président du CA de Suez Philippe Varin a exposé la situation vécue côté Suez sous plusieurs angles, interne, externe, du point de vue boursier aussi, qu’il qualifie « d’inégalités de traitement des actionnaires » de Suez, notamment par son premier actionnaire le groupe Engie, en matière de droit de la concurrence en France et à l’international, aussi. « Dans ce contexte le 23 septembre nous avons pris la décision de placer les activités eau de Suez dans une fondation basée aux Pays-Bas pour les protéger de l’OPA en cours, parce que nous sommes responsables de l’aspect social de l’activité, ce qu’on aurait pu nous reprocher de ne pas sécuriser ».

 

L’OPA de Veolia : « Un processus irrégulier » pour Philippe Varin

M. Varin considère que « ce processus (d’OPA) est irrégulier, qu’il n’a pas permis à Suez de présenter une offre alternative, ni aux salariés et à leurs représentants d’en mesurer et les intérêts et les risques ». S’ajoute à ça « la crise que vous connaissez, sanitaire, qui nécessite de pouvoir s’engager pleinement dans le soutien à nos activités », M. Varin notant n’avoir jamais connu pareille situation en plus de 34 ans d’activités, parlant « d’un excès de précipitation chez Engie, d’un certain cynisme de Véolia, de la nécessité de conserver toute sa valeur aux deux fleurons français que l’OPA pourrait mettre à mal ».

Parlant à son tour, le DG de Suez Bertrand Camus a fait le portrait d’un groupe international leader mondial sur certains segments, dont les résultats du 3ème trimestre sont bons, qui signe des contrats à l’international, et prend « toute sa part à la relance verte », dans un secteur stratégique confronté à une crise sanitaire inédite : « je tiens à saluer la mobilisation de nos agents qui continuent à tenir leur rôle de service public de l’eau et des déchets », a-t-il précisé aux sénateurs.

 

Citant les exemples de la station d’eau gérée par Suez en Méditerranée, d’un projet à la Réunion, des services Outre-mer de Papeete à Cayenne, d’une station de dépollution à Poissy, du rôle de Suez dans le projet de Smart city de Dijon, Renaud Camus ajoute voir « plusieurs impacts néfastes dans le projet de fusion avec Veolia, car à l’heure où la France veut relancer son industrie, il ne faut pas jouer au mécano avec nos entreprises. Nous estimons à près de 5 000 emplois perdus le risque en France et au moins autant d’emplois à l’étranger. Il faudrait vendre près de la moitié des activités françaises de Suez pour rester en conformité avec les lois anti-trusts européennes ».

 

Suez investit « deux fois plus que Véolia en recherche »

Bertrand Camus ajoute que Suez investit « deux fois plus que Véolia en recherche », que « ce n’est pas en éliminant la concurrence de notre marché domestique que nous allons réussir à l’échelle internationale », disant « ne pas croire au mirage d’un grand champion, qui serait alors un seul groupe démantelé et affaibli ». Pour le DG de Suez, la cession par Engie des parts de Suez à Véolia a été brutale, inattendue en pleine crise sanitaire, disant que « l’actualité de la pandémie ne fait que rendre encore plus étonnante cette OPA ».

Plusieurs sénateurs ont posé des questions sur la création d’une société de droit néerlandais pour isoler les activités « eau » du groupe, sur les autres conséquences du démantèlement du groupe Suez, sur les emplois menacés, lesquels, et sur une éventuelle «collusion » entre Véolia et Engie.

Répondant à ces questions, Philippe Varin a estimé « pas claire » la façon dont le vote d’Engie s’est déroulé pour une société qui appartient en partie à l’État, notant au passage que la position favorable exprimée dans un premier temps par le premier ministre Jean Castex, corrigée depuis par le ministre de l’économie demandant de donner du temps à l’affaire avait posé problème aux investisseurs éventuels. Selon lui, le délai imposé par le Pdt de Véolia pour répondre à son offre coupait court à toute possibilité de discussion.

 

« Donner du temps pour informer correctement les salariés, ça manquait du coup ».

Pour Bertrand Camus, DG de Suez, plusieurs questions demeurent dans ce dossier, tant sur le plan de la situation actuelle des deux groupes confrontés à la transition écologique, que sur le plan du marché de l’eau qui devrait être fortement impacté dans les années à venir, parmi d’autres points : « si c’est une opération qui vise à prendre le contrôle du groupe, il faut donner du temps pour en informer correctement les salariés, ce qu’a reconnu le tribunal de Paris qui a stoppé l’OPA, et laisser le temps à l’entreprise de le faire ».

 

La fondation aux Pays-Bas : Un « outil de négociation » modifiable à tout moment

Revenant sur la création en septembre de la fondation hébergeant les activités « eau » de Suez aux Pays-Bas pour les protéger de l’OPA et de leur cession au groupe Meridiam, opération qualifiée par Véolia de « pilule empoisonnée », M. Varin a précisé qu’il s’agit d’un « outil de négociation » modifiable à tout moment si les nouvelles conditions le permettaient, décision qui a déjà permis à Véolia d’augmenter le prix des actions Suez dans son offre à Engie. Président de Suez depuis le 15 mai et pour quatre ans, Philippe Varin explique avoir commencé à contacter des investisseurs possibles dès ses premiers échanges avec Jean-Pierre Clamadieu, Pdt d’Engie, détenteur de 31,7% des parts de Suez, avec qui la date du 7 septembre avait été fixée « sans urgence » pour une opération à envisager au début 2021, pas à la fin septembre, d’où l’offre du groupe Ardian de reprise des parts de Suez sur lesquelles Véolia jetait son dévolu.

 

« La dimension politique du projet n’a pas du tout été prise en compte », poursuit Bertrand Camus, expliquant que les sujets anti-trusts sont situés « essentiellement en Europe pour les activités eau et déchets qui devraient être cédés en cas de fusion », citant aussi le cas du Maroc où les deux groupes détiennent les plus gros contrats de gestion de collectivités pour ces sujets et de la Chine « où on ne peut pas dire à Pékin qu’on crée un nouveau champion mondial pour contrer les groupes chinois sur leur terrain sans les provoquer ».

Bertrand Camus ajoute avoir repéré des problèmes de statuts pour plusieurs filiales de Suez, dont une qui vient déjà d’être cédée à Véolia durant l’été, des questions de maintien de postes pour des rôles de gardiennage des sites et de maintenance en France et à l’étranger. M. Camus a donné des détails sur les contrats actuels de Suez en Afrique et en Eurasie et à propos des « choix stratégiques de Suez, dans des secteurs et des pays où Véolia n’est pas positionné ».

Pour Philippe Varin, il n’est pas normal que le Pdt de Veolia n’ait envoyé aucun document sur son offre directement aux dirigeants de Suez mais seulement au président d’Engie, les informations leur étant parvenues par … voie de presse le 30 août dernier. « Lorsqu’on prône depuis le début l’amicalité, qu’on dit dans le Monde de ce soir qu’on n’arrêtera pas un train lancé à grande vitesse, je ne crois pas que l’agressivité, l’outrance verbale soit le meilleur point de vue pour faire avancer ces questions ».

 

Une sénatrice leur demande : « Jusqu’à quel point êtes-vous solides » (sic) ?

Lisant son propos, un sénateur a déclaré que « l’emploi doit être préservé sur notre territoire, notamment les 4 000 emplois de Suez en région Auvergne Rhône-Alpes ». Un autre sénateur s’est demandé « sous quelle forme nous pouvons conserver deux champions en France ». Une sénatrice lisant un article du Monde récent a demandé aux deux dirigeants « jusqu’à quel point êtes-vous solides au CA de Suez » (sic) ?

Répondant à cette question, M. Varin déclare : « C’est un conseil d’administration qui est très libre, mais qui partage la même boussole, à savoir le respect des intérêts de tout le monde, de nos clients, de nos actionnaires, on l’a vu lors de la création de la fondation pour l’eau. Dans le Conseil de Suez, la boussole nous inspire dans nos décisions. Nous avons 4,3% d’actionnaires salariés avec un représentant au niveau du CA. J’ai fait entrer récemment au CA le Pdt d’ATOS Bertrand Meunier et le PDG d’Alliance en France dans une situation qui est sous pression. Toutes les décisions récentes ont été prises à l’unanimité. »

Christophe JOURNET

Rédacteur en chef de MPE-Média

 

NDLR - Prochaine audition au Sénat dans ce dossier d’OPA Véolia-Suez mercredi 3 novembre, celle du Pdt du groupe Engie Jean-Pierre Clamadieu. Puis le 10 novembre aura lieu l’audition du PDG de Véolia Antoine Frérot.

Communiqué du Sénat : « C’est dans le temps long que se révèleront les conséquences économiques, sociales et environnementales du rapprochement entre Veolia et Suez : pour le Sénat, le dossier est loin d’être bouclé », ont déclaré ce mardi 3 novembre la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas (Les Républicains –Yvelines), et le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot (Union Centriste – Doubs).

Les deux commissions sénatoriales ont annoncé la création d’un comité de suivi conjoint pour étudier les enjeux et les conséquences de la fusion envisagée entre Veolia et Suez, dont la première étape s’est traduite le 5 octobre dernier par le rachat de 29,9 % du capital de Suez par Veolia.

Quatre rapporteurs ont été désignés pour conduire les travaux du comité de suivi : Nadine Bellurot (rattachée Les Républicains – Indre), Florence Blatrix-Contat (Socialiste, Écologiste et Républicain – Ain), Alain Cadec (apparenté Les Républicains – Côtes d’Armor) et Hervé Gillé(Socialiste, Écologiste et Républicain – Gironde).

Ces travaux débutés le 3 novembre par l’audition de Bertrand Camus, directeur général de Suez devant les deux commissions. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d’administration d’Engie sera entendu le mercredi 4 novembre puis ce sera au tour de Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, de venir s’exprimer devant les deux commissions le 10 novembre. Au cours des mois à venir, l’objectif sera de suivre au plus près l’évolution de ce dossier, et de s’inscrire pleinement dans la mission de contrôle exercée par les commissions du Sénat, explique le porte-parole du Sénat.

« Les sénateurs souhaitent identifier les risques que la fusion ferait peser sur les consommateurs et les collectivités territoriales : ensemble, les deux entreprises représentent aujourd’hui près de 44 % du marché de l’assainissement collectif et 50 % du marché de l’eau en France, sans mentionner leurs actions dans le domaine des déchets et de l’énergie. La constitution d’une entité dotée d’un tel pouvoir de marché éveille des craintes relatives à des augmentations de tarifs sur ces services essentiels pour les citoyens français », poursuit la même source.

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