PARIS (MPE-Média) – Présente au Bourget à la COP21 où elle expose sur le stand « Nuclear for Climate » dans la grande galerie des entreprises, les membres de la Société Française d’Energie Nucléaire (SFEN) et ses correspondants européens demandent que « l’énergie nucléaire soit reconnue comme une option bas-carbone dans l’accord qui sera signé à Paris lors de la COP21 et bénéficie, comme toutes les énergies bas-carbone, des mécanismes de financement. » Verbatim du point de vue de Didier Beutier, Vice-Pdt de la SFEN.

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Chantier d'EPR en Europe (photo EDF)

Par Didier Beutier, Vice-président ST8 de la SFEN

Le contexte du marché de l’électricité européen n’est guère porteur. Entre demande stagnante, surcapacité et crise financière, le financement des projets nucléaires est délicat. Spécifique de par sa taille, sa durée d’exploitation, son risque, son rôle dans la lutte contre le changement climatique et son apport durable à l’économie, un projet nucléaire doit pouvoir bénéficier de tous les outils de financement offerts aux projets énergétiques.

L’Union Européenne s’est fixé des objectifs ambitieux pour le climat et l’énergie. Il s’agit d’assurer à la fois notre sécurité énergétique, un prix de l’énergie non pénalisant par rapport aux autres régions du monde, et de réduire de 40 % les émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990. Face à ces enjeux, l’énergie nucléaire a un rôle à jouer. D’ailleurs, des scénarios ont été élaborés par la Commission Européenne en 2012 dans le cadre d’« Energy Roadmap 2050 », suggérant le maintien de la part du nucléaire à la hauteur de 20 % dans la production d’électricité. Compte-tenu des mises à l’arrêt futures des centrales en exploitation (120 GWe aujourd’hui dans l’UE), cela impliquera la construction et la mise en service d’environ 100 GWe de nouvelles capacités nucléaires d’ici 2050. Un tel programme semble parfaitement réalisable, si l’on se rappelle que sur le même périmètre géographique 80 GWe de capacité nucléaire ont été mises en service en 10 ans entre 1980 et 1990, dont la moitié en France…

Une filière atone en Europe

Mais depuis, le contexte politique, économique et énergétique a beaucoup changé. Le rythme d’investissement actuel est très lent et les conditions nécessaires à une accélération ne sont pas réunies. Aujourd’hui dans l’UE, 2 EPR sont en construction en Finlande et en France, et 2 VVER en Slovaquie. Si l’on recense les projets de nouveaux réacteurs susceptibles de se concrétiser d’ici 2030, le paysage se présente ainsi : 10 réacteurs projetés au Royaume-Uni, portés par 3 consortiums (EDF Energy, Horizon, NuGen), 1 en Finlande (Fennovoima), 2 en Hongrie (Paks 2), 2 en Roumanie (Cernavoda 3-4), 1 en Bulgarie (Kozloduy 7).

La Pologne annonce 6000 MWe à mettre en service entre 2027 et 2035. La situation reste plus indécise en République Tchèque, dont le gouvernement annonce une part nucléaire de 50% vers 2040 mais a refusé de garantir un prix d’électricité à CEZ pour son projet de nouveau réacteur. Même situation en Slovaquie qui évoque un futur projet à Bohunice mais doit d’abord achever Mochovce 3-4 et en Lituanie dont le gouvernement reste intéressé par un nouveau réacteur malgré un référendum négatif.

Au total, on peut envisager la mise en service de 20 GWe d’ici 2030. Cependant seuls les deux EPR de Hinkley Point au Royaume-Uni, le VVER de Fennovoima en Finlande et les deux VVER en Hongrie sont proches à ce jour d’avoir sécurisé leur financement, combinant partenariat d’investisseurs directs et emprunts. Certains projets cherchent leur financement parfois depuis plusieurs années, tel Cernavoda 3-4 dans lequel pourrait entrer l’investisseur chinois CGN.

Face au manque d’appétit des investisseurs, une nouvelle tendance se confirme en Europe dans le marché international des nouveaux réacteurs : la contribution du vendeur en capital au financement du projet. Ainsi Rosatom entrera au capital de Fennovoima à hauteur de 34 %. De même, dans le projet à l’étude en Lituanie, Hitachi contribuerait à hauteur de 20 %. Au Royaume-Uni, le consortium Horizon initialement formé par deux électriciens pour construire de nouveaux réacteurs a été racheté par Hitachi.

Plus radicalement, Rosatom propose son modèle BOOT (Build - Own – Operate - Transfer) où l’ensemble des risques liés la construction, au démarrage et au début d’exploitation est assumé par le vendeur, contre rétribution garantie par un prix fixe du kWh vendu. C’est le schéma retenu pour le projet Akkuyu en Turquie. La participation du vendeur à l’investissement financier peut contribuer à rassurer les autres investisseurs sur sa détermination et ses capacités à fournir dans le délai et le budget contractuels.

Mais elle introduit aussi une confusion des rôles et potentiellement un mécanisme d’exclusion sans rapport avec la qualité du produit, seuls certains grands acteurs pouvant se permettre cette option.

Le contexte du marché de l’électricité européen n’est guère porteur comparé à d’autres régions, pour plusieurs raisons. D’abord, la demande en électricité croît faiblement, voire stagne. Des sur capacités sont induites notamment par le développement des capacités en énergies renouvelables. Enfin, la crise financière affecte plusieurs Etats-membres. A cela s’ajoutent les difficultés propres au financement de projets nucléaires.

 

Les spécificités d’un investissement dans un projet de centrale nucléaire

Un projet de centrale nucléaire se caractérise par le risque financier élevé encouru par l’investisseur et le temps de retour sur investissement assez long. C’est dans la durée que le projet apporte véritablement ses bénéfices, grâce à des coûts d’exploitation assez faibles et peu sensibles à la volatilité des prix du combustible.

Un investissement dans une centrale nucléaire est très important (plusieurs milliards d’euros) ; peu d’électriciens sont capables de financer seuls de tels projets. La durée de construction et d’exploitation est généralement plus longue pour une centrale nucléaire que pour d’autres technologies. Plus largement, la durée totale d’engagement juridique et financier approche la centaine d’années quand on inclut construction, exploitation, démantèlement et stockage des déchets.

Le nucléaire est perçu comme porteur de risques spécifiques, dont certains peuvent occasionner une prime de risque significative. Le risque politique n’est pas le moindre, comme lors d’un changement de majorité gouvernementale (Suède en 2014). L’expérience en construction de réacteurs de Génération III + est encore très restreinte dans l’UE et plus largement dans le monde.

Toutes ces spécificités impactent directement les disponibilités de financement. Les financements de marché sont généralement l’apanage des grands électriciens. Les plus petits - dont un projet nucléaire affecterait significativement le bilan - rencontrent des difficultés plus importantes à obtenir des financements pour de tels projets. Grâce une base d’actifs importante, les grands électriciens - EDF, E.ON ou Engie - peuvent recourir aux marchés traditionnels pour lever du capital destiné à financer leurs nouveaux investissements. Cependant même pour ceux-ci la formation de partenariats d’investissement s’avère nécessaire, comme dans le cas de Hinkley Point.

Toutes les Agences de crédit export ne sont pas disposées à fournir des garanties. En France, la COFACE[1] a historiquement montré sa capacité à garantir le financement des projets nucléaires à l’export, dont Olkiluoto 3. En Allemagne, Euler Hermès[2] ne le fait plus depuis la décision allemande de sortir du nucléaire.

Les multilatéraux (la Banque Mondiale notamment) se sont montrés plutôt fermés au financement du nucléaire. Les banques ont une position réticente vis-à-vis du nucléaire, beaucoup plus marquée depuis l’accident de Fukushima, avec en particulier la crainte d’un impact négatif sur leur image (« reputational risk »).

Des garanties sont particulièrement nécessaires pour les premiers projets GEN III+. En raison de leur caractère innovant, les projets GEN III+ (réacteurs 3ème génération) n’attirent pas les financements privés. Lorsqu’ils sont disponibles, le coût de ces financements est trop élevé car les primes de risque demandées par les investisseurs privés sont élevées. Cela reflète l’aversion au risque et l’absence de retour d’expérience industrielle de ces projets GEN III+.

A titre indicatif, lorsque le coût du capital (« WACC »[3]) passe de 5 % à 10 %, le coût total de l’investissement double et le coût du kWh produit augmente de 80 %. Des garanties de crédit sont donc nécessaires pour attirer des capitaux privés dans le financement des prochains projets GEN III+, réduire leur coût en capital et rendre ainsi les premiers projets nucléaires compétitifs pendant la phase de développement commercial.

 

Cadre durable et financement innovant

La relance d’investissements nucléaires en Europe nécessite la mise en place de nouvelles mesures à deux niveaux. D’abord, premier niveau, il est nécessaire de bâtir un cadre d’investissement durable, associant des politiques publiques plus incitatives et une réforme du marché de l’électricité européen. Ensuite, second niveau, des mesures plus transitoires immédiates doivent assurer la faisabilité et le lancement de quelques « têtes de série », démonstrateurs indispensables pour regagner la confiance des investisseurs.

 

Définir un cadre durable

Le niveau 1 implique des changements assez fondamentaux dans le cadre de la politique énergétique européenne et dans la politique des Etats-membres. Il s’agit avant tout d’orienter le marché de l’électricité vers les énergies à bas-carbone (renouvelables, nucléaire puis la capture et séquestration du CO2).

Cela passe par la réforme en cours du marché européen (ETS) des permis d’émission de CO2, lequel n’est pas incitatif aujourd’hui avec un prix inférieur à 10€/tCO2.

La mise en place d’un stock régulateur (Market Stability Reserve) et d’un plafond d’émission plus rapidement restrictif à partir de 2019 devrait permettre de maintenir un prix plus incitatif sur le marché ETS.

Mais ceci implique aussi une aide à l’investissement. En effet toutes ces technologies non carbonées sont très capitalistiques et la rentabilité de l’investissement initial est à la merci d’une forte volatilité du prix de vente de l’électricité sur la durée de vie de l’unité. Les schémas fondés sur un contrat à long terme entre fournisseur et consommateur apportent alors une réponse satisfaisante aux deux parties : prix de vente sécurisé sur une longue période justifiant l’investissement chez le fournisseur et assurant la stabilité des coûts chez le consommateur.

Le schéma finlandais appliqué à l’entreprise TVO va même un cran plus loin, les grands consommateurs d’électricité (industrie du papier, municipalités, etc.) étant à la fois clients et actionnaires de TVO et payant le kWh au coût moyen de production.

Enfin, il faut compléter ces mesures touchant toutes les énergies non carbonées par des mesures visant à supprimer les distorsions de concurrence actuelles entre énergies renouvelables et nucléaire. Il s’agit en premier lieu du risque politique. Ainsi, les taxes spécifiques imposées aux capacités nucléaires dans plusieurs pays européens (Allemagne, Belgique, Suède) montrent combien le risque est grand de voir la rente de long terme de l’investissement confisquée par la puissance publique.

Mais surtout, pèse l’hypothèse d’un changement de majorité gouvernementale conduisant à un abandon national du nucléaire. Ce point a été traité dans l’accord passé sur le projet Hinkley Point C entre le DECC (Département de l'Énergie et du Changement climatique britannique) et NNBG (Nuclear New Build Generation Company Limited) : une compensation financière est prévue dans le cas où le gouvernement britannique déciderait l’arrêt de la centrale pour des raisons purement politiques. Il s’agit aussi de reconnaître, mesurer et rétribuer la sécurité de fourniture d’une technologie disponible en permanence par rapport à une énergie intermittente – ou inversement d’intégrer dans le coût d’une énergie intermittente l’ensemble des coûts de back-up, de réseau et de gestion dus à l’intermittence.

 

Déverrouiller le système

Le niveau 2 n’a évidemment de sens que si le niveau 1 est reconnu et enclenché. Mais il est nécessaire pour au moins deux raisons.

Aujourd’hui, les difficultés rencontrées sur les premiers projets GENIII+ en Europe et ailleurs soulèvent un doute sur la compétitivité de la filière (maîtrise temporelle des projets, maturité de l’ensemble de la chaîne industrielle, coût final de construction). La confiance des investisseurs reviendra lorsque les premiers réacteurs fonctionneront et que d’autres auront été réalisés dans les délais et les coûts prévus.

L’effet de la réforme du marché ETS sur le prix du CO2 ne va pas être immédiat, mais sans doute significatif à partir de 2025 selon certaines estimations. De même, les transformations décrites au niveau 1 ne prendront pas place immédiatement.

Il s’agit en quelque sorte de déverrouiller le système. Un soutien temporaire de l’UE pour faciliter le financement du nucléaire apparaît souhaitable, pour les premiers projets. La Commission Européenne peut pour cela faire appel à la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et à l’utilisation de crédits Euratom.

 

Un groupe de travail dédié[1] de l’European Nuclear Energy Forum (ENEF) a proposé plusieurs instruments 

• Des garanties de crédit par les institutions européennes, accordées sur la base d'une prime cohérente avec le risque supporté, avec le cas échéant recours du garant sur les parties prenantes au projet. Cette garantie va réduire le coût du financement en améliorant la qualité de crédit de l’emprunteur (la qualité de crédit du garant se substitue à celle de l’emprunteur ce qui diminue le taux d’intérêt et accroît la faisabilité financière des projets).

• Des prêts directs de la Banque européenne d’investissement (BEI) incorporant des éléments de subordination attribués en période de construction, destinés à être refinancés pendant l’exploitation, en vue de constituer un levier efficace pour d’autres sources de financement. Ce crédit représenterait une part minoritaire (10-20 %) de la dette contractée pour le projet. Le remboursement serait différé pendant un ou deux ans après la mise en service jusqu’à l’atteinte de la puissance nominale.

• Des lignes de crédit contingentes, disponibles en période de construction pour faire face aux aléas induits par les autorités de sureté au cours de la procédure d’autorisation. Ici, l’Energy Policy Act américain est une référence utile, avec le « Stand-by Support » qui fournit une assurance contre d’éventuels retards imputables aux autorités de régulation.

 

Le premier instrument se justifie par le fait que les premiers projets vont, par leur réalisation, bénéficier aux suivants en abaissant la prime de risque liée au doute initial. Ce principe a été appliqué aux Etats-Unis[2] et plus récemment au Royaume-Uni pour Hinkley Point C. Les deuxième et troisième instruments ciblent plus directement la question du risque spécifique aux premiers projets : surcoût de construction, modification de la réglementation de sûreté ou de son interprétation.

Le groupe de travail ENEF a souligné l’importance du rôle de facilitateur que la BEI joue pour aider à atteindre les objectifs de la politique énergétique européenne. Sa politique de prêt devrait être « technologiquement neutre » entre les énergies non carbonées. Sur la période 2009-2013, les prêts de la BEI dans le secteur Energie se sont élevés à 13 milliards d’euros par an en moyenne, dont 6 pour les infrastructures de réseaux, 5 pour les énergies renouvelables, et 1 pour des projets d’efficacité énergétique. Le montant de l’enveloppe suggère qu’elle pourrait aussi contribuer aux projets de réacteurs nucléaires et la BEI affirme qu’elle examinerait tout projet soumis selon les mêmes critères que pour les autres technologies.

Les prêts Euratom peuvent égaler représenter un levier important pour financer de nouveaux réacteurs. Ils peuvent financer à hauteur de 20 % maximum des projets ayant pour objet la production d’électricité nucléaire, au meilleur taux possible car la Communauté se porte garante. Ils ont par le passé joué ce rôle de catalyseur, jusqu’à un total distribué de 2,5 milliards d’euros. Mais le fond Euratom arrive maintenant à épuisement ; il faudrait donc le refinancer.

 

Suivre l’exemple du Royaume-Uni

La réforme du marché de l’électricité au Royaume-Uni vient du constat que l’on ne peut pas atteindre les objectifs majeurs de la politique énergétique en s’appuyant exclusivement sur les forces du marché libéralisé. En effet, celles-ci privilégient la rentabilité à court terme et se détournent des options trop lourdes en investissement, risquées dans un marché où le prix de l’électricité pourra varier fortement.

Le marché britannique se dirigeait inéluctablement vers la domination du gaz, mettant en péril la sécurité énergétique et la réduction des émissions de CO2. La mise en place des « Contracts for Difference » et de « Credit Guarantees » destinés aux énergies non carbonées permet de réintégrer celles-ci dans le marché. L’ensemble du dispositif prévu par le DECC répond au besoin de deux niveaux de mesures, durables et transitoires.

Plus largement l’UE aussi doit mettre son marché de l’électricité en cohérence avec ses objectifs. Ceci implique un cadre plus favorable aux investissements dans les énergies non carbonées, nucléaire compris, qui peut s’inspirer du modèle anglais. Elle devrait également prendre en compte l’enjeu industriel et économique que représente la filière nucléaire, qui soutient aujourd’hui 800 000 emplois à travers l’Europe. Cette filière a vécu une longue période (plus d’une décennie) d’atonie dans les investissements en nouvelles capacités, mais les premiers projets d’EPR ont permis de la revitaliser.

La qualification nucléaire des entreprises industrielles implique des investissements conséquents en formation et en équipement, qui doivent être rentabilisés. Pour rester vivante et performante cette filière doit maintenant être soutenue par d’autres projets, en Europe et ailleurs dans le monde.

Financer les nouveaux projets nucléaires, c’est donc à la fois lutter contre le changement climatique, contribuer à la sécurité énergétique de l’Europe et développer les emplois européens de demain.

 

#FIN#

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[1] Sub Working Group « Financing , Final Report, 22nd April 2013

[2] Loan Guarantees for the first movers, Energy Policy Act, 2005, appliqué à Vogtle 3 (réacteur AP1000 en cours de construction en Georgie – Etats-Unis)

[1] Organisme d’assurance-crédit garantissant les prêts à l’export http://www.coface.fr/

[2] Euler Hermes est une société d’assurance-crédit http://www.fr.eulerhermes.com/Pages/default.aspx

[3] Le coût moyen pondéré du capital1 (CMPC), ou weighted average cost of capital (WACC) en anglais, est un indicateur économique, représentant le taux de rentabilité annuel moyen attendu par les actionnaires et les créanciers, en retour de leur investissement.

 

Voir aussi sur:

http://www.sfen.org/fr/le-blog-des-energies

PROMO_2015 - copie

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