PARIS (MPE-Média) – En 2009, lorsqu'à l'issue d'un travail pour l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) dont il est auditeur, l'idée lui vient de travailler au sujet des terres rares, David Weber constate qu’il n’existe aucun ouvrage sur ces minerais stratégiques et décide alors d’entamer une investigation poussée pendant deux ans. Résultat : un livre auto-édité, sans doute le plus complet à ce jour rédigé en français sur ce thème, qui donne à la fois un état des lieux de la ressource mondiale, un historique des explorations et de l’exploitation des terres rares dans le monde. Un ouvrage qui permet de mieux comprendre pourquoi la plupart des grands pays industrialisés tentent actuellement de sécuriser leurs approvisionnements pour ces matières, dont 5 sur 17 au moins constituent des éléments essentiels pour l’automobile, l’aéronautique, la défense, les industries high-tech et les télécommunications. Entretien.

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Terres Rares, le livre de David Weber, expert du domaine (source DW SD pour MPE-Média)

Entretien exclusif MPE-Média

MPE-Média – Quel a été votre parcours jusqu’à l’écriture de ce livre dédié aux terres rares?

David Weber – Après des études supérieures (HEC, Université de Dundee, Ecosse) qui m’ont conduit à me spécialiser dans les problématiques étatiques d’accès aux énergies, j’ai fait de la logistique humanitaire pour Equilibres, avant de travailler en Allemagne comme directeur des achats pour un grand équipementier automobile. J’ai ensuite pris la direction d’une filiale d’Honeywell, Garrett, dans les Vosges, la plus grosse unité de fabrication de turbos pour l’automobile du monde. Puis j'ai fondé avec un associé une société de création de logiciels prédictifs, revendue depuis à Dassault Systèmes. Nouveau virage, j’ai pris la direction des opérations de Flamel à Lyon, dans l’industrie biotechnologique. Là arrive ma rencontre avec l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) et l'idée ce travail concernant les terres rares, dont j’avais perçu le caractère critique pour l’industrie française et européenne.

 

Votre livre fait comprendre que les enjeux mondiaux concernant les terres rares sont exacerbés par la position dominante de la Chine.

Il y a en fait un historique entre la Chine et les Etats-Unis tout d’abord, et d’autres pays comme le Japon ensuite, qui a favorisé la montée de ces tensions. L’aveuglement politique et économico-idéologique de la classe dirigeante nord-américaine et la relative finesse de la stratégie suivie depuis quelques années par les chinois ont permis cette situation. Un pétrolier chinois a ainsi manqué de peu parvenir à acquérir Mountain Pass, une mine qui appartenait alors indirectement au pétrolier américain UNOCAL et dont Washington a bloqué in extremis le projet de vente. Aujourd’hui, la société américaine Molycorp est en train de la ré-ouvrir pour tourner à bonne cadence d’ici à 2013. L’Australie a aussi empêché de justesse les chinois d’acheter des mines sur son territoire, à travers le groupe Lynas.

La Chine a créé une bourse privée pour les terres rares et les métaux précieux et a découvert de nouveaux gisements dans le sud du pays, en complément de ceux de Baotou, les plus importants globalement, situés en Mongolie intérieure.

 

Récemment, la Chine a lâché du lest en augmentant ses exportations vers le monde développé. Que faut-il en conclure?

La Chine a diplomatiquement répondu à la plainte de plusieurs pays auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce dont les Etats-Unis, l’Union Européenne et le Japon en mettant près de 10.000 tonnes de terres rares supplémentaires sur les marchés ces dernières semaines, 85% de terres rares légères, 15% de terres rares lourdes, les plus critiques à ce jour. Ce n’est donc pas une sinécure et une course de vitesse est engagée, car quelques industries courent le risque d’être en rupture d’approvisionnement pour certaines de ces matières. C’est la raison pour laquelle Molycorp a décidé de relancer la mine de Moutain Pass jusqu’à près de 15.000/20.000 tonnes l’an à terme, qui seront séparées dans un premier temps en Estonie, les Etats-Unis ne possédant pas d’usine pour ce faire, tout comme l'Australien Lynas en Malaisie. Pour les USA, le mot d'ordre est à présent à l'intégration verticale.

 

Peut-on parler de criticité d’accès aux terres rares pour la France, pour l’Europe?

Globalement, je dois dire et j’ai écris que nous sommes mal partis, la situation est loin d’être sécurisée pour plusieurs éléments, en particulier pour le dysprosium, une terre rare lourde essentielle par exemple pour la furtivité des drones et avions de chasse, dont la chimie aussi a besoin et la Chine de plus en plus, pour l’europium, utilisé dans le nucléaire et pour les sous-marins lanceurs d'engins, le néodyme dont l’usage pour fabriquer des aimants permanents (éoliennes, voitures hybrides ou électriques), associé à du fer et à du bore. La demande est moins forte pour le samarium cobalt, pour lequel les américains ont créé une nouvelle usine, pour l’erbium, le gadolinium, pour lequel la demande flotte un peu, ou encore le lutétium utilisé dans certains alliages particuliers.

 

Quels constats faîtes-vous quant à l’évolution des prix des terres rares?

Ils ont chuté assez fortement ces derniers mois, d’environ 20% en moyenne cumulée, avec le ralentissement de la croissance des pays émergents, mais moins qu’ils auraient dû chuter. La Chine continue à faire des stocks. J’évoque la question des prix dans mon livre, avec prudence toutefois car il y a un risque de viabilité pour la filière occidentale si on met les prix trop en avant, sans voir qu’il faut d’abord reconquérir plus d’autonomie pour nos industries et l’UE et développer de nouvelles filières d'approvisionnement, comme Solvay le fait via sa filiale Rodhia à travers l’accord passé avec l’allemand Tantalus Rare Earth. C'est un problème de coût global sociétal plus que de prix qu'il faut considérer. Il est possible que j’aille visiter l'environnement de leur site malgache d’ici quelques semaines pour me faire une idée du potentiel et des enjeux locaux.

 

Le recyclage est vivement encouragé par l’Etat français et le Comité des Métaux Stratégiques mis en place en mars 2011. Qu’en pensez-vous?

Concernant le recyclage, l'ONU estime qu'aujourd'hui environ 1% des TR sont recyclées. Mon analyse est qu'au global et d'ici à deux ans, on n'aura pas dépassé les 3% et encore, grâce à la filière de recyclage des lampes et ampoules, qui est très en avance sur le reste. D'ici cinq ans, un maximum de 10% serait envisageable, dans le meilleur des cas.

 

Quels sont les autres projets en cours susceptibles de compter dans les années à venir?

La mine américaine de Mountain Pass va rentrer en production stable d’ici 2014-2015, date à laquelle l’unité de séparation actuellement inexistante sera créée, Molycorp devant en attendant faire faire ce travail en Estonie. Le groupe australien Lynas vient d’obtenir sa licence pour son unité de séparation en Malaisie. Le Canada est en ce moment très actif, avec le plan Grand Nord. Il faut compter avec d’autres mines en Australie, qui ont de gros potentiels en terres rares dites lourdes, mais aussi sur le projet de la société canadienne Stans Energy au Kirgisthan. Je rencontre bientôt le PDG de Stans Energy M. Robert Mac Kay pour en parler avec lui.

En France, le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) a découvert il y a longtemps des gisements peu ou pas rentables, notamment du côté de la Montagne noire, des Cévennes. Si on décrypte l’actualité du domaine, il y a d’autres initiatives : un accord entre l’Union Européenne et le Mexique, un autre au Kazakstan pour la France et le projet malgache déjà évoqué entre Rhodia et TRE, pour lequel subsistent des questions environnementales – espace protégé, non habité, zone sacrée, risque de déforestation. Rhodia va traiter l’aspect production et Tantalus Rare Earth l’aspect minier pour tenter de prendre une partie de l’approvisionnement verrouillé par les chinois. Les japonais, eux, investissent en Inde ou au Vietnam et visent les 15.000 tonnes de terres rares en 2015. Le Brésil, via le géant minier Vale, a aussi les moyens de gagner en indépendance sur ce plan. L'effervescence règne dans le secteur, j'ai dénombré plus de 400 projets à l'échelle mondiale en 2012.

 

Quelles autres pistes existent pour l’Europe?

Ecoutez, je ne vois pas pourquoi les européens ne tenteraient pas de créer une sorte d’Airbus de la mer, pour exploiter les ressources sous-marines en terres rares supposées abondantes dans les possessions françaises du Pacifique, avec le soutien tant financier que technologique de l’Allemagne par exemple : il y a des schémas vertueux à imaginer, une ambition à développer, nos deux pays combinant 11% de la demande mondiale en terres rares. Depuis la campagne exploratoire faite l’an dernier par les Japonais, nous savons que les fonds sous-marins du Pacifique sont, en volumes estimés de terres rares, le premier gisement connu et non encore exploité. L'Ifremer, le BRGM ou de puissants groupes industriels : la France a toutes les compétences techniques. Le COMES, entre autre, réfléchit à l’idée d’une exploitation ultra-marine depuis quelque temps déjà. Comme pour bien d’autres sujets, se pose la question de la volonté politique et des moyens associés.

Propos recueillis par Christophe Journet

VERBATIM

« A l’heure où l’Europe connaît sa plus grave crise depuis 1945, une bataille pour le contrôle et la maîtrise des terres rares se déroule dans l’ignorance du grand public. C’est dans les périodes de crise que germe le fondement des réussites futures, et loin du défaitisme ambiant, cet ouvrage explique la situation actuelle et les atouts du vieux continent, proposant un schéma à la fois ambitieux et réaliste pour assurer notre indépendance, créer des emplois et préparer notre industrie aux réalités et éfis économiques de demain. C’est possible. Il suffit de le vouloir, vraiment ».


Terres rares, Avenir industriel et future richesse de l’Europe ? de D. Weber, 120 pp. 15€

Les Editions du net 2012

www.leseditionsdunet.com et www.terresrares.fr

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Mis à jour (Mercredi, 26 Octobre 2016 15:53)