PARIS (MPE-Média) – La styliste Carmen Colle, créatrice de la marque Angèle Batiste en tant que styliste, PDG de la société World Tricot (WT) basée à Lure (Haute-Saône) est en procès avec le Groupe Chanel depuis 2005 pour « rupture abusive de contrat et contrefaçon ». WT reproche à Chanel l’exploitation non autorisée d’un de ses échantillon de maille pour créer une nouvelle collection la même année. La Cour d’Appel de Paris soit statuer le 14 septembre prochain sur un premier jugement rendu en 2009 par le Tribunal de Commerce de Paris, mais sur une base contestée par Mme Colle et son entreprise. Rappel des faits avant le verdict attendu.

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Acte I : En 2005, Mme Carmen Colle, fabricante de maille basée à Lure (Haute-Saône), intente un procès à Chanel pour « rupture abusive de contrat et contrefaçon ». L’issue lui en est pour partie favorable, pour partie favorable à Chanel, ce que Mme Colle conteste, qui demandait 2,5 millions d’euros en réparation, comme le soulignaient à l’époque les médias de la mode, y compris aux Etats-Unis, pour qui l’affaire revêtait une importance jurisprudentielle évidente.

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Au Tribunal de commerce de Paris, en 2009 : l’échantillon de « demi-devant » objet du litige suite à son utilisation en série non attribuée à World Tricot par Chanel (ph SD WT)

Acte II : « Chanel avait examiné un échantillon qui lui avait été proposé par WT, l’avait retenu et avait alors commandé à WT la réalisation d’un « demi-devant », soit la moitié d’un vêtement. Puis la firme avait arrêté ses commandes. Peu après, j’étais allé au Japon, à Tokyo, où j’ai pu découvrir que Chanel s’était servi de ce demi-vêtement pour réaliser une collection entière, fabriquée selon Chanel en Italie et commercialisée ensuite dans le monde entier », déclare Carmen Colle.

« Il s’agissait d’une maille en lacet de coton pur, réalisée avec du fil acheté en Italie, que Chanel avait alors fait utiliser par d’autres usines ailleurs dans le monde pour exploiter le procédé original créé par WT », continue Mme Colle.

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WT utilise également des fils en coton sertis sur de l’acier inoxydable très fin pour certaines de ses créations, ainsi pour cette réplique de la robe de Marylin Monroë créée sur commande pour un passionné de l’actrice américaine durant l’année anniversaire, présentée le 5 août dernier à Paris sur les Champs-Elysées (photo SD WT Marc Paygnard pour MPE-Média)

 

Acte III: Le Tribunal de Commerce de Paris a statué en décembre 2009 en déboutant WT sur la contrefaçon, mais en prenant l’angle d’une prestation produite par un « façonnier », alors que World Tricot, pour avoir acheté la matière première, élaboré spontanément l’échantillon de base, le prototype, la fiche technique puis proposé sa création à la maison Chanel comme le font les créateurs stylistes, était fabricant. Chanel a été alors condamné pour rupture fautive « en raison de l'insuffisance de suivi du risque de la relation par la SAS Chanel et de l'inadéquation de sa réponse », devant du coup verser à WT 400.000 euros et non les 2 millions d'euros demandés par la société de Lure.

Le groupe Chanel soulignait alors peu après ce verdict - dont il se félicitait - que « la seule oeuvre qui puisse être qualifiée de création, est le demi-devant en crochet. Cette création a été réalisée sur la base de consignes précises et de matières premières fournies par le Studio de création Chanel (fil de coton et mousseline de soie)». Le Président de la Division Mode de Chanel M. Bruno Pavlosky ajoutait que cette décision reconnaissait« le rôle primordial joué par Chanel dans la création, clairement distinguée du savoir-faire technique du fabricant », notant aussi que « cette création relève de choix artistiques de notre studio, le fond en points de crochets a ainsi été combiné avec une ganse (galons à fleurs), un ruban et de la mousseline de soie (crêpe Georgette), on retrouve bien là la signature de Chanel et de son studio de création ». Le groupe insistait aussi sur le fait que WT était déjà en difficulté économique avant le début de leur collaboration et avait déposé le bilan en 94, soit avant que Chanel ne travaille avec elle et a connu un plan de continuation jusqu'à la fin juin 2005*.

World Tricot avait alors fait appel en contestant notamment le terme de façonnier utilisé par le juge, en poursuivant son action en contrefaçon sur le fait « de faire fabriquer par d’autres la maille originale et l’ensemble échantillonné par la maison de style jurassienne, reproduit ensuite en série et hors contrat par Chanel était une contrefaçon de son droit d’auteur » et également, « une rupture contractuelle », précise Mme Colle.

Une question qui peut faire jurisprudence

Voilà donc une question de fond susceptible de faire jurisprudence ici et dans d’autres domaines industriels : la styliste dont on a copié les échantillons originaux, sur lesquelles elle estime avoir un droit d’auteur, peut-elle obtenir réparation pour l’usage qui en est fait par un tiers sans cession de droits d’un savoir-faire exclusif et reproduit en série à l’étranger par le commanditaire ? Nombre d'entreprises du textile et de la mode attendent une réponse de la Justice à cette question que beaucoup de chefs d'entreprises craignant de s'opposer à leurs clients finaux, de peur de perdre une partie de leur chiffre d'affaires, n'ont jamais osé poser dans des circonstances similaires, y compris dans d'autres secteurs d'activité que la mode.

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(PH ROBE JADE  SD WT Vincent Duwald pour MPE-Média)

Acte IV : La Cour d’Appel de Paris doit statuer vendredi prochain 14 septembre sur cette affaire. C’est la 2e occurrence de cette affaire devant la justice depuis 2005. L’issue reste difficile à décrypter mais pourrait bien faire jurisprudence, peu de stylistes fabricants ayant jusqu’ici osé affronter des grandes marques de la mode en bravant les représailles commmerciales qui n’ont pas manqué de suivre pour World Tricot, qui a connu le dépôt de bilan et une procédure de liquidation judiciaire et les difficultés d’une relance de ses activités depuis.

L’affaire WT versus Chanel pose bien une question de fond, susceptible de faire jurisprudence bien au-delà de la filière : « à qui appartiennent ces modèles originaux, créés dans le secret des ateliers du fabricant, que les ouvrières de l'entreprise et sa responsable styliste ont créés, proposant des techniques ou des points oubliés en France, les transformant, les réinventant? »

La Charte des bonnes pratiques

Maître Pascal Créhange, l’avocat de Mme Colle, qui exerce à Strasbourg et à Paris, estime par ailleurs qu’il s’agit d’une affaire emblématique, parce qu’elle associe un historique faisant s’affronter une créatrice de mode fabricante – à qui les grandes maisons avaient coutume d’acheter la créativité, le savoir-faire et les idées puis de les lui faire fabriquer dans la foulée jusqu’à la rupture de fait de ce contrat et une grande maison de la mode, qui n’a jamais payé depuis 2009 les indemnités mises à sa charge par le Tribunal de Commerce de Paris, ni répondu « au fond » aux questions de Mme Colle et de la société World Tricot : « La Charte des bonnes pratiques rédigées du temps de M. Estrosi avec le soutien du Ministère de l’Industrie et de la Cie des Dirigeants et Acheteurs de France (CDAF), peu après la médiatisation de ce premier procès entre WT et Chanel pose aussi cette problématique et tente d’y répondre en demandant aux clients finaux de respecter ces engagements contractuels », ajoute Me Créhange.

Le fait que WT ait perdu subitement une large partie de son chiffre d’affaires en 2004 suite à la non reconduction par Chanel, sans raison apparente, des contrats en cours, a été reconnu par le Tribunal de Commerce de Paris, note Me Créhange, « dans une sorte de jugement de Salomon qui condamnait Chanel à payer 400.000 euros de dommages et intérêts mais bottait en touche sur la question de la contrefaçon en condamnant World Tricot à payer 200.000 euros au titre d’un dénigrement de la partie adverse dans ses communications à la presse internationale », souligne-t-il.

Verdict le 14 septembre à Paris

Acte V : Le verdict de la Cour d’Appel de Paris sera rendu public vendredi 14 septembre. Contacté, le groupe Chanel dont le service juridique a étudié longuement toutes les jurisprudences antérieures, souhaite attendre la décision de la Cour avant de se réserver la possibilité de s’exprimer à nouveau à ce sujet, selon la décision présentée par la Cour. Laquelle sera mise à la disposition des parties directement au greffe de la Cour d'Appel, sans audience publique.

Inutile de dire que son orientation sera intéressante tant pour les industriels de la mode consommateurs de textiles et d'autres matières souvent onéreuses (métaux, plastiques, textiles synthétiques ou naturels) que pour d'autres secteurs d'activité où les grands donneurs d'ordre entretiennent des liens contractuels analogues et utilisent régulièrement des savoir-faires originaux qui leurs sont cédés par leurs sous-traitants sans référence au droit du créateur ou de l'inventeur du procédé.

Christophe Journet

 *Communiqué à la presse en date du 11/12/2009

A propos de WT – Créée par Mme Carmen Colle en 1990, avec le soutien financier de l’Abbé Pierre qui avait encouragé un projet très social en donnant 20.000 francs de l’époque à la fondatrice pour l’aide à l’embauche d’ouvrières installées dans la Haute-Saône, près de Lure, la société World Tricot a subi depuis une conjoncture difficile, amplifiée par les conséquences de cette affaire et par la crise économique. WT emploie toujours une petite dizaine de personnes qualifiées en fonction de la charge de travail, notamment à partir de commandes réalisées à partir de maille de laine de Cachemire, de coton, de soie, de mohair. WT a dans ses cartons le développement d’une nouvelle collection de vêtements sur mesure haut de gamme et prêt à porter pour femmes et pour hommes. WT travaille aussi comme sous-traitant pour des négociants, des boutiques multi-marques à l’international. WT produit de 800 à 1.000 pièces par modèle travaillé pour un temps de travail moyen pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’heures sur certains modèles.

Voir aussi sur :

www.angelebatist.com

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(PH SD KL/Chanel 2012)

A propos de Chanel :

La Maison Chanel connue sous le nom de Chanel, est une maison de haute couture française fondée par Gabrielle Chanel dite « Coco Chanel » en 1910 à Paris, à partir d'un simple magasin de chapeaux d'un bon standing. L'entreprise appartient aujourd'hui à MM. Alain et Gérard Wertheimer, 8è fortune de France en 2010 avec 4,5 milliards d'euros, les petits-fils de l'associé de Coco Chanel, M.Pierre Wertheimer. Le chiffre d'affaires de l'entreprise s'élevait à près de 1,8 milliard d'euros en 2011 (source wikipedia). Chanel est réputée dans le monde entier pour ses produits et son styliste directeur artisitique M. Karl Lagerfeld, dont les frasques verbales ont défrayé plusieurs fois la chronique par le passé, qui expose également des photographies et vient de présenter la collection 2012-2013 de Chanel sur le thème des Muses grecques.

Plus de détails sur :

www.chanel.com

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Mis à jour (Mardi, 25 Octobre 2016 16:06)