PARIS (MPE-Média) – L’enquête des Députés sur la sidérurgie et la métallurgie française s’est achevée la semaine dernière par une audition en marge de celles programmées à l’agenda régulier de la Commission, celle de M. Jean-Paul Aussel, porteur du projet « Aluminium des Alpes », candidat à la reprise du site Rio Tinto Alcan Saint-Jean-de-Maurienne au même titre que le groupe allemand Trimet AG avec qui Rio Tinto Alcan est entré en négociation exclusive en mars dernier, sans conclusion connue à ce jour.

Les députés membres de la « Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement » ont achevé leurs travaux mercredi dernier par l’audition informelle de M. Jean-Paul Aussel, porteur du projet « Aluminium des Alpes » de reprise du site de production de fil d’aluminium Rio Tinto Alcan (ex aluminium Pechiney à St-Jean-de-Maurienne.

Cette audition ne devant pas faire l’objet d’un compte-rendu public comme les précédentes, nous avons choisi d’en reporter quelques éléments à l’intention de nos adhérents et lecteurs, compte tenu de l’éclairage particulier qu’elle a permis d’apporter sur les pratiques réelles des grands groupes producteurs du métal blanc et d’autres matières.

M. Jean-Paul Aussel, ancien cadre de Pechiney aluminium, à présent consultant international chez IPI-Team, cabinet basé dans l'Isère, travaille actuellement aussi bien sur l’aluminium que sur d’autres sujets industriels ou sur des montages technologiques et financiers liés à l’industrie.

 

Pechiney avait aussi son centre de trading à Zug, en Suisse

M. Aussel a été entendu par les députés mercredi 26 juin. Il a décrit aux députés le fonctionnement réel des investissements dans l’aluminium et dans les métaux, expliquant comment les grands groupes producteurs du métal blanc – ou d’autres métaux – servent « les intérêts des plus puissants, les groupes miniers comme Glencore, face à qui les industriels ne se mettent pas dans leur position d’industriels mais fonctionnent en se plaçant du côté des plus puissants. Pechiney avait aussi son centre de trading à Zug, en Suisse, comme les autres compagnies », a-t-il relevé face aux membres de la Commission particulièrement attentifs, parmi lesquels plusieurs députés de circonscriptions concernées directement par ce type d’industries (Savoie et Nord en particulier).

« Le coût de l’énergie est la problématique numéro 1 pour l’aluminium. Il y a d’un côté la problématique de l’alumine, de l’autre celle du prix de l’électricité. Deux grands fournisseurs d’alumine subsistent aujourd’hui dans la zone Atlantique, Glencore et Alcoa », a déclaré Jean-Paul Aussel citant « par exemple l’usine d’alumine de Friguia en Guinée – ex usine Péchiney, qui appartient à Rusal, mais dépend financièrement d’une filiale de Glencore NDLR – est dans le giron de Glencore. Dans un marché mondial lié mollement au London Metal Exchange (LME), on peut noter que le groupe américain Alcoa essaye de déconnecter le prix de l’aluminium de sa valeur LME pour être plus proche d’un monde de miniers que d’un monde de traders », a déclaré M. Aussel aux députés présents.

« Tout le monde a la nostalgie en Europe de l’électricité moins chère, autour de 14 dollars le Mégawatt/heure. Du temps des orgines de Péchiney, nous avions nos propres barrages hydroélectriques, comme Rio Tinto au Québec aujourd’hui, qui dispose d’électricité à bas prix », rappelle J.-Paul Aussel.

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Fil d'aluminium produit à Saint-Jean-de-Maurienne (ph SD RT Alcan Archives MPE-Média)

Il existe toujours des transactions en argent-papier

« Il faut bien voir qu’en même temps que la transaction industrielle, il existe toujours des transactions en argent - papier sur le contenu d’aluminium entrant dans chaque bobine produite dès l’achat d’une tonne de cathode d’aluminium, chaque camion livré pouvant faire l’objet d’une commission de près de 1% de sa valeur. Ces transactions en valeur papier transitent par exemple par les centres de trading de Zug (Suisse) où les groupes profitent des conditions juridiques propres aux banques suisses pour y placer et ensuite générer une partie de leurs produits financiers. En près de trente ans, Pechiney avait ainsi pu augmenter substantiellement ses profits, en valeur constante durant près de 30 ans», a poursuivi M. Aussel.

« Si aujourd’hui Pétroplus est en train de mourir, c’est aussi pour ça, son siège était en Suisse où partait une partie des valeurs générées par les produits apportés à la raffinerie. Si ArcelorMittal est en train de mourir à petit feu, c’est aussi pour ça. Il faut reconnecter les industriels avec les intérêts de leurs clients. A présent, Rio Tinto Alcan se replie vers le Québec. Les Emirats se replient sur les Emirats. L’Australie se replie chez elle et se prépare à vivre un temps sur les acquis miniers australiens. Ils se désengagent tous de l’Union européenne et reconstruisent leur petit paquet chez eux », a-t-il ajouté.

Dans le cadre de son projet de reprise du site de production de fil d’aluminium primaire Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne « Aluminium des Alpes se proposait de demander à RT Alcan un contrat de fourniture d’alumine et de proposer à la direction commerciale d’EDF de négocier un prix de fourniture d’électricité inférieur à celui négocié en France par le consortium Exeltium (42€/MWh) :

« Jusqu’en 2014, St-Jean-de-Maurienne doit payer son électricité 10€/MWh plus 10€ de charge d’exploitation par Mégawatt heure, soit 20€/MWh. Or EDF semble pouvoir faire un prix d'environ 34€/MWh après mars 2014. Si EDF finit par accepter de rentrer à la hauteur de 40% dans le capital de la future entité filiale de l’allemand Trimet AG, à ce prix-là, c’est à n’y rien comprendre. Je ne suis pas anti-allemand, mais c’est une perte nette pour la France, non seulement sur le plan social car il y aura des licenciements, mais aussi sur le plan du commerce extérieur, les ventes à l’étranger de ce site représentant directement 120 millions d’euros l’an, indirectement 200 millions d’euros qui sortiront de notre balance commerciale », a déclaré M. Aussel aux députés présents.

Saint-Jean-de-Maurienne représente en effet une valeur nette pour la balance commerciale française qui constituerait une perte sèche pour la France en cas de cession à une firme étrangère : M. Aussel, également conseiller du commerce extérieur, a précisé que la dimension de centre d'un vrai réseau technologique qui caractérise le site savoyard ferait également défaut dans ce cas de figure.

 

Rio Tinto Alcan en négociation exclusive avec Trimet AG

« Vous avez parlé de ça avec Rio Tinto Alcan », s’est inquiété le rapporteur de la Commission d’enquête M. Alain Bocquet, Député du Nord ?

« Non, car le groupe Rio Tinto Alcan a suspendu tout dialogue avec nous depuis le 13 mars, date de l’entrée en négociation exclusive avec le groupe allemand Trimet », lui a répondu M. Aussel.

Depuis cette date, les discussions entre Rio Tinto Alcan et le consortium Aluminium des Alpes mené par M. Aussel avec le soutien du Fonds Stratégique d’Investissement et d’un pool d’investisseurs français basé à Paris se sont interrompues, lorsque le groupe Rio Tinto Alcan est entré en négociation exclusive avec le groupe allemand Trimet AG, soutenu dans cette démarche par le Ministre du Redressement productif, EDF finissant par entrer à son tour dans un projet d’accord avec ces derniers – projet encore non finalisé à la fin juin et dont les modalités précises n’ont pas encore été confirmées ni bien sûr rendues publiques. 

Contactés à ce propos, Rio Tinto Alcan et Trimet n'ont pas répondu pour l'instant à nos questions. Le Ministère du Redressement productif estimait ce matin par téléphone que les discussions étaient toujours en cours.

 

Christophe Journet


NDLR - Le rapport de synthèse des députés de la Commission d’enquête portant sur l’ensemble de leurs constats devrait être rendu public d’ici au 14 juillet, sous la houlette de leur rapporteur M. Alain Bocquet, Député P.S. du Nord.

Nous reviendrons dans notre prochaine lettre de juillet-août sur les déclarations à l'Assemblée nationale de M. Jean-Paul Aussel, porteur du projet « Aluminium des Alpes » de reprise du site Rio Tinto Alcan St-Jean-de-Maurienne avec le Fonds Stratégique Industriel et des investisseurs français depuis mai 2012.

 

Lire aussi les cptes-rendus de la Commission sur :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cesidmet/12-13/index.asp

 BANDEAU_MPE_MEDIA_HAUT_2013

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Mis à jour (Lundi, 01 Juillet 2013 16:05)