PARIS (MPE-Média) - L'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) réunissait jeudi 5 juin dernier à l’Assemblée Nationale parlementaires et experts de tous bords autour du « principe d'innovation », pour mettre en relief son rôle, sa complémentarité avec le « principe de précaution » et pour mieux comprendre et déterminer son importance stratégique. Extraits d’une partie des échanges.

Ouvrant la rencontre, M. Claude Bartolone, Président de l'Assemblée nationale a posé les enjeux en parlant de la nécessité de «revisiter nos comportements». Le principe d'innovation est pour M. Bartolone « l'aboutissement de nombreuses interrogations auxquelles il est la plupart du temps difficile de répondre », a-t-il déclaré. Mais si on regarde les classements internationaux sur ce plan, ajoute le même orateur, la France n'y tient pas le rang qu'elle doit tenir : « l'innovation n'est pas seulement économique, elle a aussi une dimension sociale, culturelle et générationnelle».

OPECST

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en réunion à l'Assemblée (Ph CJ)

Le sénateur Bruno Sido a ensuite ouvert la première table ronde présidée par Mme Anne Lauvergeon, sherpa et présidente de la commission nationale innovation 2030, également PDG d'une start-up toulousaine et directrice au sein du conseil du groupe minier australien Rio Tinto depuis mars dernier.

M. Sido a souligné le problème posé par la raréfaction des moyens financiers indispensables au développement de l'innovation avant de présenter le programme du jour. Le but était notamment d'élaborer une charte de l'innovation, un guide, en suivant sept à huit directions de travail jugées importantes pour son développement :

 

- Reconnaitre que l'innovation est essentielle au succès économique,

- Accorder un accueil favorable à la nouveauté,

- Simplifier les procédures,

- Encourager l'expérimentation,

- Alléger les normes,

- Consacrer une part significative des commandes publiques à des propositions innovantes,

- Faire preuve de constance dans les politiques publiques,

- Valoriser la prise de risque et son corollaire, l'échec, dans le système éducatif.

 

« Innover, c'est changer et changer, c'est risquer », a résumé Jean-Yves Le Déaut, Vice-Pdt de l'OPECST et député auteur d'un rapport récent sur ce thème. M. Claude Birraux, président du Comité de pilotage et modérateur des débats du jour a énuméré quelques points sans lesquels l'innovation semble compromise, tant sur le plan règlementaire que financier, « cette réflexion sur l'innovation ne pouvant se dissocier d'une réflexion sur son financement. Il convient de définir par la loi un mode d'emploi qui permette de faire du principe de précaution un principe de dernier recours intégrant l'évaluation du risque.»

« Peut-être qu'il nous manque des gens qui aient cette culture du risque », a continué M. Birraux, tandis que Mme Lauvergeon prenait des notes avant sa propre prise de parole.

 

Passer de la propriété à l’usage d’un bien

« 2030, ce n'est pas dans trente ans, c'est dans 15 ans, 16 ans, c'est demain », a embrayé Anne Lauvergeon, citant les tensions prévisibles dans le monde sur le plan démographique, énergétique, des matières premières et ressources naturelles, le passage de la propriété d'un bien à l'usage des produits : les points forts d'aujourd'hui peuvent, risquent d'être les points forts de demain.

« Nous avons retenu sept priorités pour l'innovation qui passent par le recyclage des matières, le développement de la recherche et l'investissement, sept chapitres qui vont donner lieu à la mise en oeuvre de projets définis sur concours, pour lesquels nous avons reçu plus de mille réponses », a souligné la Pdte de la Commission Innovation Française.

 

« Notre culture du je remets tout à plat et je recommence »

« Notre culture du je remets tout à plat et je recommence n'est pas une culture favorable à cette démarche, il nous faut retrouver le temps long et cette idée du consensus sans laquelle rien ne sera possible. L'innovation est un écosystème dans lequel il faut trouver le bon dosage et définir le rôle de l'Etat. Exemple, dans l'aéronautique où nous avons le premier joueur mondial grâce à la conjonction des efforts des entreprises et des états qui ont permis à l'A380 de voir le jour. Les Etats ont une importance réelle dans ce dispositif, mais l'innovation est un enfant de bohème, les innovateurs font ce qu'ils veulent », a continué Mme Lauvergeon.

« Nous sommes aujourd'hui dans une ambiance difficile en France, je crois que c'est parfaitement clair, la seule chose qui peut nous sauver c'est d'innover. Il y a plein de gens en France qui se bougent et qui font des tas de choses », a continué l'ex Présidente d'AREVA.

Elève à Polytechnique, Benjamin Fassenot a ainsi expliqué « qu'à Polytechnique, on ne nous apprend pas à échouer», ce à quoi Anne Lauvergeon a répondu « qu'en France, nous sommes dans un système où tout rapport à la perfection est un rapport négatif alors que quand vous vous trouvez dans d'autres pays, on va compter plutôt le nombre de mots justes dans une dictée : ce rapport à l'échec commence tout petit, il faut le faire bouger. En tant qu'élève à Polytechnique vous êtes perçu comme quelqu'un qui a réussi, ce que vous me dîtes est d'autant plus intéressant.»

La sénatrice Fabienne Keller a souligné quant à elle l'importance de la « transversalité dans les approches de l'innovation» - l'un des thèmes de prédilection de MPE-Média NDLR.

« Le principe de précaution ne doit pas être dissocié de celui d'évaluation scientifique des risques, il faut le compléter pour stimuler l'innovation », a ensuite déclaré François Ewald, Député membre de l'Académie des technologies. «En clair, interdire quelque chose sans procéder à son évaluation scientifique est un non sens », a renchéri M. Ewald.

Présidente de la commission recherche et innovation du MEDEF, Vice-présidente d'Alcatel-Lucent, Mme Gabrielle Gauthey a ensuite déclaré que « les entreprises ont besoin d'un environnement fiscal stable, non confiscatoire pour développer l'innovation.»

 

Mieux identifier le risque

« Le MEDEF a accueilli favorablement le récent texte de loi du Sénat cherchant à mieux identifier le risque, à favoriser la recherche de mesures favorables à l'innovation, à mieux répondre au principe d'innovation », a ajouté Mme Gauthey.

Que faut-il donc faire pour encadrer le principe de précaution? Le principe d’innovation doit-il ou non être posé dans la loi pour en modérer les excés? Cela risque-t-il au contraire de nuire au premier? Les enjeux énoncés jeudi tournaient autour de ces questions, comme l’illustre bien la question des gaz de roche.

Pdt de l'Union Française des Industries du Pétrole (UFIP), Jean-Louis Schilansky a alors évoqué l'innovation dans l'exploration et la production de gaz de schiste : « nous sommes en plein changement sur ce plan aux Etats-Unis. Chez nous, le parlement a voté dans la précipitation une interdiction sur la seule foi d'un film qui est un faux. Conséquence, on a bloqué chez nous toute étude du potentiel et des technologies et du coup les entreprises françaises sont parties travailler à l'étranger », a-t-il déclaré.

« Cela mérite effectivement de regarder ce que nous avons sous nos pieds, c'est sans doute la seule pièce maîtresse dans nos possibilités de relance énergétique et nous nous l'interdisons », a renchéri Anne Lauvergeon.

Les interventions suivantes, qualitativement et éthiquement louables, rappellaient ensuite au passage que l’innovation remonte aussi et le plus souvent des ateliers, des niveaux socio-professionnels modestes, comme celle d’une gradée et référente innovation militaire évoquant ces sous-officiers de l’Armée de l’air inventeurs de tablettes tactiles servant à présent à guider les avions au sol ou lors de l’approche de menaces : « un objectif pas forcément commercial mais facteur de grandes économies », a souligné cette intervenante.

Les débats qui suivaient ces préambules ont vu s’alterner des réflexions tout à fait pertinentes et une théorie de lapalissades donnant envie à quelques participants de se poser la question non de l’innovation mais de la valeur accordée au temps de travail et à son utilité dans ce type d’organisation : « c’est un vrai train de sénateur », a ironisé un ancien dirigeant d’organisation industrielle invité à ce colloque.

Nicolas Hulot prend le contrepied

S’inscrivant en contre-pied dans ce débat pourtant riche en preuves de la nécessité d’innover en France comme ailleurs pour doper les performances industrielles, l’écologiste en chef de l’Elysée Nicolas Hulot a déclaré mettre en doute la nécessité d’un principe d’innovation pour compléter le principe de précaution, qu’il ne considère pas comme un frein à l’innovation, du moins pas autant que « le conformisme, le scepticisme, l’exode des jeunes ingénieurs français » et qu’il ne souhaite pas voir remettre en cause ni modérer : « En quoi le principe de précaution est-il abusif? Il s’attaque à des risques graves et irréversibles. Quant il y a AZF, il y a tant de victimes tant de dommages, mais l’incident est clos. Quand il y a des risques comme à Fukushima, on passe à une autre échelle. Michel Foucault disait déplorer que le sort de l’humanité soit dans d’aussi mauvaises mains que les siennes » , a-t-il provoqué.

Incontestablement, le débat n’est pas clos, même si la question de la « cohérence des politiques publiques pour une charte de l’innovation efficace » méritera sans doute d’être souvent remise sur l’ouvrage. On peut faire confiance sur ce point au Président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale François Brottes, coauteur l’an dernier des 26 propositions pour la relance industrielle.

 

Christophe Journet

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