PARIS (MPE-Média) – Il faut se hâter de ne rien conclure après le Brexit, du moins en termes de conséquences négatives ou positives pour nos économies, estiment plusieurs parmi nos sources les plus fiables, quand bien même les grandes agences anglo-saxonnes rivalisent de vitesse dans leurs évaluations toutes plus négatives les unes que les autres. Détails et conclusions.

160624_FORUMNRP2016_GRAPH

Le cours de la livre sterling vendredi 24 juin 2016 (source FT)

Un premier retour sur les faits permet de mieux comprendre comment se sont propagées les nouvelles avant même de pouvoir en reconnaître les impacts. Mais tout d’abord, il convient de resituer l’évènement dans la période, au moins depuis le début 2016 :

- Le PDG de MCA Finance, l’angevin Patrick Creuzé fait remarquer que le FTSE 100 de Londres a tout de même gagné 2,12% depuis janvier 2016, tandis que le DAX de Francfort a perdu – 10% dans le même temps, le CAC - 9,27% et que les stocks de Londres ont rattrapé presque tout depuis huit jours de leurs pertes du 24 juin.

« Ca fait huit ans qu’on sait que l’Europe a de la fièvre. On est passé enfin passé du paracétamol aux soins. L’Europe a le cancer et on en prend enfin conscience, on pense à vouloir harmoniser les pratiques, la fiscalité, la peur des extrêmes fait voir les choses et l’Europe autrement », ajoute Patrick Creuzé.

« Le fait marquant du Brexit, c’est d’abord l’échec de Podemos en Espagne dimanche dernier, en réaction au Brexit et peut-être au risque de suites pour Gibraltar », conclut M. Creuzé, qui en profite pour rappeler au passage que "ce sont les acheteurs qui font les marchés, pas les vendeurs".

 

Retour arrière sur le 24 juin

P1140292

La City de Londres n'a pas peur du vide. Ni des figures en vis sans fin (ph CJ MPE-Média)

Dès le vendredi 24 juin, à peine quelques heures après l’annonce officielle des résultats du vote des sujets de sa majesté la Reine Elisabeth concernant le “leave” ou le “remain”, le “In” ou le “Out” of Europe, plusieurs annonces donnaient la tendance post Brexit dès potron-minet et sous de violentes averses à Londres :

- Après un point haut pour 2016 la veille au soir, lorsque les derniers sondages donnaient la victoire au camp du maintien, la Livre sterling s’est effondrée de plus de 10 points au petit matin à 1,32 $ puis 1,39$ vers 11h du matin (1,24€), soit son plus bas niveau depuis 2008 et la crise financière, enregistrant un record de variation sur une seule journée, tandis que les futures du FTSE 100 de Londres chutaient de 8% et les valeurs américaines une première fois de 2,5% avant même les résultats officiels.

- Dès 7h du matin le 24 juin, le Financial Times enchaîne les breaking news les plus noires, depuis “Le vote pour le Brexit est un désastre pour la City et les milieux d’affaires”, jusqu’à “nous entrons dans une période d’extrêmes turbulences en politique” à 7h30, peu après l’évocation d’une “onde de choc sur les marchés mondiaux” plongeant à la suite du vote des anglais à 7h19.

- Peu après 9h30 le 24 juin, l’annonce de la démission imminente de David Cameron amplifie encore un peu plus la glissade des changes, la baisse des cours des premières bourses mondiales, au bénéfice des obligations étatiques et de l’or, qui voit déjà sa valeur prendre plus de 10% de hausse.

 

JP Morgan veut fermer plusieurs milliers d'emplois à Londres

- A 11h09, l’Agence France Presse annonce que JP Morgan prévoit de fermer une partie de ses 16 000 emplois au Royaume-Uni suite à la victoire du Brexit. Le PDG de la grande bancue américaine M. Jamie Dimon avait dit avant le scrutin que 1.000 à 4.000 emplois pourraient être déplacés, précise l’AFP. Idem pour HSBC parlant d’une « nouvelle ère pour le Royaume-Uni et les citoyens britanniques » et ayant déjà envisagé de déplacer à Paris près d’un millier d’emplois en cas de Brexit.

- Peu avant 13h le 24 juin, l’agence de notation Standard & Poor’s monde prévient : comme exprimé en avril, un vote en faveur du Brexit aurait des conséquences négatives pour les finances du Royaume, privées et publiques, créant une situation de désavantage compétitif avec les autres grands centres financiers globaux, déséqulibrant la balance commerciale publique, ajoutant que ce vote pourrait conduire l’agence à dégrader d’au moins un point la note du pays, quoiqu’aucun impact immédiat ne puisse être constaté sur les banques commerciales domestiques anglaises. S&P disait ne pas prévoir d’action rapide concernant la notation des grands assureurs de la City, estimant qu’il faudrait du temps avant de savoir comment ceux-ci et leurs filiales basées en Europe allaient pouvoir poursuivre leurs échanges.

 

Notre indice Rosamon indique une reprise légère des valeurs à terme à Paris et Francfort dans un an

160630_INDICE_R

L'indice Rosamon du début juin (Ts Droits réservés Rosamon/MPE-Média)


Méthodique, Standard & Poor's a observé les marchés des commodités le 24 juin

- Peu après 15h, la même Standard & Poor’s précise que si effet il y a sur les banques privées domestiques anglaises, celui-ci ne peut être qu’indirect et découlant d’une éventuelle baisse des volumes d’affaires de leurs clients. S&P note que les assureurs sont moins exposés au « leave » que le secteur financier lui-même, évoquant les risques issus de la volatilité extrême des changes, d’une faiblesse soudaine des marchés de l’immobilier, des pertes d’affaires et de confiance des consommateurs dans l’après Brexit, ajoutant que le risque majeur serait une réduction des investissements dans l’innovation, un ralentissement de l’efficacité opérationnelle des compagnies, une baisse de compétitivité des firmes anglaises comparées à leurs pairs de l’Union.

- A 16h, les industriels de la chimie réagissent officiellement : « La décision du Royaume Uni de quitter l'Union Européenne est un évènement important pour l'industrie chimique en Europe et en France en particulier », déclare l’Union des Industries chimiques depuis Paris :

« Avec plus de 4,1 milliards d’€ d’exportations en 2015, le Royaume-Uni est le 3è pays destinataire de nos produits après l’Allemagne et l’Italie. Ces exportations sont essentiellement des produits pharmaceutiques, des produits chimiques de base et des savons, parfums et produits d’entretien. A contrario, nous importons près de 2,4 milliards d’€ de produits chimiques du Royaume Uni, principalement des préparations pharmaceutiques et des produits chimiques organiques de base », précise la porte-parole de l’Union des Industries Chimiques qui veillera « au maintien de la compétitivité de (nos) entreprises afin qu’elles n’aient pas de contraintes réglementaires différentes de leurs homologues britanniques. »

- Vers 19h ce même 24 juin, la filiale Platts de Standard & Poor’s monde Global Platts Commodities trading édite une dépêche reprenant matière par matière les constats du jours dans les grandes salles de marchés du monde d’une façon prudente,notant que le vote a produit des vagues à travers la plupart des marchés couverts par l’agence :

MINERAI_OR

L'or devrait voir encore son prix augmenter au Golf Fixing de Londres et les valeurs minières dans la foulée (Ph archives MPE-Média)

OR :

Fidèle à sa réputation de valeur refuge, l’or a d’abord rebondi de 8% ou 100 $ à un pic de 1 359$/once dans la nuit du 23 au 24 juin avant de se reprendre à près de 1 320$/oz à midi, soit + 20% en livres sterling à mille livres l’once. L'occasion de rappeler qu'une partie de l'or britannique provient d'Ecosse.

« Il reste sans doute encore un potentiel de hausse sur l'or à très court terme, mais dès cet été, les hedge funds et specs pourraient sortir de leurs ETF et futures pour engranger la hausse de près de 25% depuis le début de l'année, et éviter ainsi le risque latent de l'épée de Damoclès de la remontée des taux de la FED », écrivait depuis sur LinkedIn Christian Hocquard, ancien cadre du BRGM devenu consultant en géologie et économie des matières premières minérales.

« Par ailleurs, sur les bourses, la plupart des classes d'actif ont étonnement très vite effacé le Brexit, et le dollar reste un refuge haussier, deux facteurs défavorables à une poursuite de l'appréciation du au prix de l'or. Mais les investisseurs particuliers poursuivent la tendance acheteuse », poursuit Christian Hocquard.

« L’or peut bénéficier de davantage de soutien à plus long terme, ayant déjà profité de la décision de la réserve fédérale américaine de ne pas augmenter ses taux directeurs », ajoute S&P Platts Global, faisant remarquer que « les fonds d’investissement adossés à l’or atteignent actuellement un point haut sur trois ans, l’incertitude économique ajoutant de l’intérêt à ces marchés ». Situation qu’un dollar fort et une livre un peu plus faible peut aussi contrarier en éloignant les acheteurs du marché. Mais justement, l’incertitude risquant fort d’augmenter dans les mois à venir, les prix de l’or pourraient en bénéficier fortement à moyen terme.

 

PÉTROLE

Toujours selon S&P Platts Global, la baisse du prix du baril le 24 juin liée à la montée des incertitudes pour l’économie mondiale a été relativisée par quelques analystes estimant que nous verrions dans le moyen terme l’impact marginal du Brexit, la production européenne centrée sur la mer du nord (le fameux Brent) étant à moins de 4% de la production mondiale l’an dernier, celle du Royaume-Uni à près de 1% soit environ 1 million de barils/jour.

La baisse de prix du 24 juin reflète surtout la crainte que le vote anglais ressuscite l’instabilité politique et économique en Europe, où personne n’attend de vraie hausse de la demande en pétrole à l’opposé de ce qui se passe en Chine et en Asie, note l’agence américaine.

 

ACIER

Si le Brexit a fait couler beaucoup d’encre et de paroles à propos de la vente par le groupe Tata Steel de ses actions en Europe, en particulier l’aciérie de Port Talbot au pays de Galles, S&P estime que le vote pour le Brexit devrait plutôt impacter davantage la sidérurgie britannique que ses consoeurs européennes. Le Royaume-Uni a produit 3,2 millions de tonnes d’acier brut de janvier à mai 2016 là où la Chine en a produit près de 330 Mt.

Après l’annonce de la mise en vente de ses filiales anglaises de Tata Steel Europe, Londres a d’abord rencontré d’éventuels repreneurs avant d’opter plus récemment pour garder l’aciérie de Port Tablot en laissant vendre les petites unités plus profitables au fonds de pension Greybull Capital, pariant sur la baisse des importations européennes et chinoises d’acier à la faveur de l’après Brexit et de la baisse de la livre sterling.

 

ÉMISSIONS DE CO2 ET ENERGIE

L’impact le plus notable selon S&P Platts sur les marchés de l’énergie a été ressenti sur le marché du carbone avec des droits d’émission montant de 17% depuis la fermeture des marchés jeudi 23 juin à 4,91€/tonne à 13h30 heure de Londres le 24 juin. Le benchmark éponyme européen a connu une journée volatile, la baisse de 3% du charbon étant compensée par le taux de change de l’euro redescendu à 1,10$. Le prix du MWh anglais montait de près d’une livre entre la fermeture jeudi et vendredi après-midi, tirée par le prix du gaz et l’impact des taux de change.

 

GAZ NATUREL , GNL, CHARBON

Notant une forte volatilité des prix du gaz naturel lors de l’épisode, les traders amortissant l’impact en passant des contrats en euros en livres sterlings pour faire mieux que compenser la perte de prix du pétrole, S&P Platts Global observe que le contrat clé anglais Winter 16 National Balancing Point (NBP) a gagné puis perdu et regagné quelques pences à peine avant 13h30.

« Le Brexit donnait le sentiment aux acteurs du marché que le Royaume-Uni pourrait devenir plus attractif pour les exportateurs de gaz à l’encontre des autres hubs européens », note l’agence américaine qui anticipait alors une relative faiblesse des marchés pour les jours à venir. Les prix du Gaz naturel liquide sont restés « flat » à 5,35$/MMBtu du jeudi au vendredi, après une semaine delégère hausse suivant la demande.

Quant au charbon thermique, passé de 57 à 53$/tonne du jeudi soir au vendredi en clôture, son prix ne traduisait rien d’autre qu’une nervosité passagère selon un trader londonien.

 

EUROPE de L’EST

Plus récemment, l’agence américaine de suivi des commodités déclarait que la Lituanie, la Lettonie, la Hongrie, la Pologne sont les pays d’Europe de l’Est les plus exposés au Brexit, de par le nombre importants de leurs ressortissants ayant migré au Royaume-Uni ces dernières années, leurs liens commerciaux avec le Royaume, l’importance des fonds européens pour financer des investissements, déclare S&P Platts Global.

« La Turquie et la Russie semblent y être moins vulnérables grâce à leur taux migratoire plus faible avec le Royaume-Uni », précise Aarti Sakhuja, analyste crédit chez S&P.

 

CONCLUSION

A observer les premières conséquences sur les monnaies, la chute de la livre sterling, la remontée du prix de l'or, la chute du CAC 40 et du DAX le vendredi 24 juin au matin, l'annonce de l'imminence du passage en backwardation des courbes de stocks du pétrole dans l'OCDE, le banquier US JP Morgan ne fait qu'anticiper sur une série de prises de décision difficiles mais sans doute inévitables dans le secteur bancaire des affaires en fermant des postes à Londres.

 

hkskyline

Hong-Kong, l'ancienne colonie Britannique pourrait aussi profiter du Brexit, et la Chine avec elle (Ph Archives MPE-Média)

Le Brexit va sans doute augmenter la dépendance de l'Angleterre à ses anciennes colonies asiatiques, Hong-Kong en particulier, poser de sérieux problèmes aux géants miniers australiens tels que BHP et Rio Tinto côtés à Londres, compliquer la gouvernance pour ArcelorMittal dont le siège réel est à Londres et le siège juridique et financier à Luxembourg, même si l'aciériste profite dès ce matin du Brexit et voit le cours de ses actions (MT) augmenter ces dernières heures. Mais en fin de compte, notre indice Rosamon l’indiquait d’ailleurs avant le Brexit, les valeurs à terme se sont ressaisies et pointent à nouveau en flèche vers des jours meilleurs. Plus vulnérable, le nickel accuse le coup au London Metal Exchange, mais il est plus sûrement touché par la baisse des demandes chez les leaders de la production d’acier inoxydable depuis peu (Outokumpu au Royaume-Uni, Aperam en Europe et au Brésil), que par les impacts du Brexit.

Quoiqu’il en soit, rien de clair ne sortira du chapeau à Bruxelles comme à Londres avant de longues semaines, tant il paraît clair que Londres et ses dirigeants semblent vouloir s’entendre à jouer la montre avant d’activer l’article 50 du Traité de Lisbonne, heure de Greenwich s’entend, donc avec une heure de retard en plus de ce délai non souhaité par les dirigeants de l’Union réuni cette semaine à Berlin et à Bruxelles.

Enfin, l'annonce du renoncement ce 30 juin de l'ex maire conservateur de Londres Boris Johnson à se porter candidat au 10, Downing Street à la suite de David Cameron ajoute tout simplement un peu d'opacité dans le déroulement opérationnel du Brexit.

 

Christophe Journet

Rédacteur en Chef de MPE-Média


PUB_WEB_2016

Bannière_PAPREC_MPE_780 x 90

 

Retour vers le haut

Mis à jour (Jeudi, 30 Juin 2016 18:37)