PARIS (MPE-Média) - Un vrai fiasco: c'est la première impression qui ressort ce lundi soir des échos et commentaires suscités par les déclarations croisées des candidats à la présidentielle concernant le devenir - ou "la fermeture", disent-ils - des hauts-fourneaux d'ArcelorMittal Florange, alors que rien n'a changé depuis les annonces du groupe en septembre 2011, janvier puis février 2012. Nouvelle amplification médiatique d'un malaise économique, dont les effets peuvent être dramatiques, poussant les salariés à agir en occupant le site et à précipiter des choix pourtant susceptibles d'être évités . Analyse.

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Bobines d'acier laminé à chaud en Moselle (Ph Sollac-Lorraine)

RTL a mis le feu aux poudres en recevant le candidat- président Nicolas Sarkozy ce lundi matin pour une interview à bâtons rompus portant sur à peu près tout et à peu près rien, passant des droits de succession dans les familles à la sidérurgie et dans le cadre de laquelle nos confrères ont fait feu de tout bois, évoquant "la fermeture de Florange" comme si elle était actée, ce qui est faux, comparant l'épisode d'Hayange 2009 à la situation de Florange 2011-2012, sans tenir compte des faits intervenus depuis ni jamais citer les explications données par le groupe ArcelorMittal ni celles des délégués syndicaux français ou européens du groupe qui font bien la différence et croient toujours dans l'avenir de leurs sites.

ArcelorMittal dit toujours que "Florange sera relancée dès que la demande d'acier reprendra vraiment en Europe", les syndicats le savent mais font mine de dire - on les comprend, c'est de bonne guerre - qu'on peut "produire ici ce qu'on apporte par rail de Dunkerque - voire de Russie", disent-ils à présent - alors que le seuil de rentabilité actuel de la partie "phase à chaud" d'une aciérie tourne autour de 80, 90% de capacités de production mises en oeuvre 24h/24. Or les chiffres sont formels: en 2011, les aciéristes du monde entier ont tourné le plus souvent en dessous de ce seuil, 71,3% pour 98% de la production mondiale cumulée en janvier dernier, note worldsteel, l'association mondiale des aciéristes. En particulier durant le 2e semestre 2011, après un bon début d'année.

Du coup, sachant qu'il y a long de la coupe aux lèvres mais que quand le vin est tiré, il faut le boire, Nicolas Sarkozy s'est senti obligé de répondre par un "effet d'annonce", à savoir l'octroi imminent selon lui à Florange d'une nouvelle aide de 150 millions d'euros de l'Etat français - et des contribuables - au groupe ArcelorMittal, somme déjà budgetée à la fin 2011 par Bercy pour consolider la décision déjà actée entre Paris, Bruxelles, Berlin, ArcelorMittal et ses pairs à l'automne dernier de financer le programme ULCOS 2 - pour "ultra low CO2 emissions phase 2", programme de lutte contre les émissions de gaz carbonique en sortie de haut-fourneau, cofinancé par les principaux aciéristes européens depuis trois ans à la hauteur de plus de 300 millions d'euros, là où l'Etat français dit en promettre 150, et où Bruxelles reporte toujours le versement de sa quote-part fixée à près de 400M€ pour l'ensemble du programme expérimental.

Eric Besson à Bruxelles l'an dernier

Le ministre de l'Industrie Eric Besson est allé plusieurs fois à Bruxelles pour travailler la question avec les commissaires de l'UE en charge du dossier. Il a rencontré son homologue belge M. Marcourt qui venait de subir par surprise la fermeture des hauts-fourneaux de Liège quelques jours plus tôt et ne l'avait su que moins de quinze jours avant! le même Eric Besson a sa place attitrée dans le TGV entre Paris-Est et la Moselle, où il a répété plusieurs fois les termes de l'accord entre son gouvernement et ArcelorMittal: "Florange sera relancée lorsque la demande d'acier reviendra".

Du coup, on frôle aussi l'absurde lorsque François Hollande venu à Florange voici quelques jours battre campagne y va de son propre projet d'interdire les "fermetures d'usines" avant proposition à des repreneurs, ce qui est ici totalement hors sujet: aucun aciériste ne va actuellement tenter de racheter une aciérie en Europe, même située idéalement à portée de cargos géants pour le minerai de fer et le charbon à coke, même et a fortiori dans un site sidérurgique historique où existe encore le savoir-faire dans la population locale, alors que le premier aciériste du monde, ArcelorMittal, a décidé de fermer ses hauts-fourneaux de Liège, en Belgique, au début octobre 2011, faute d'une demande d'acier suffisante pour les faire tourner à plus de 70% de leurs capacités de production d'acier brut.

L'un tente de rassurer le salarié mosellan en le confortant dans l'idée qu'après la crise, les cheminées de Moselle retrouveront leur utilité, même sans fumée puisqu'elle y sera captée pour lutter contre l'effet de serre. L'autre surfe sur les plaintes anti-capitalistes des intersyndicales françaises et européenne, qui stigmatisent depuis le rachat d'Arcelor par le groupe Mittal la volonté de ce dernier de "tout faire pour l'actionnaire et de ne pas investir assez dans l'outil de production et pour les hommes". Dans un cas comme dans l'autre, il semble qu'on soit un rien hors sujet, loin de la question de la "demande réelle d'acier brut sur le marché" et des difficultés à "produire des surcapacités d'une façon non responsable pour un industriel de l'acier", répondait le groupe jeudi dernier.

Prendre le temps de l'analyse

Or les rédactions généralistes n'ont pas pris le temps d'analyser le dossier Florange, ni d'entendre la nuance: le PDG d'ArcelorMittal M. Lakshmi Mittal n'a jamais dit (jusqu'ici) qu'il fermerait Florange, d'autant qu'il sait que l'engagement pris avec Bruxelles pour expérimenter la décarbonation en France et en Allemagne dans un autre site est déjà signé. Mais il n'a pas attendu deux minutes en 2011 avant de décider de fermer Liège, non protégée par un ultime bouclier technologique et expérimental!

En Allemagne, le test aura lieu sur un haut-fourneau ArcelorMiital de dimension moyenne situé à Eisenhuttenstadt, près de l'ex RDA. En France, les plans sont arrêtés pour réaliser l'expérimentation ULCOS 2 sur le HF "P6" historique de Florange-Hayange, dès que les autorisations seront confirmées par les Préfets concernés, pour autoriser l'enfouissement du CO2 dans les sous-sols calcaires de la grande région, et les travaux conduits pour réaliser l'équipement de capatation des gaz sur le HF, puis les canalisations pour les enfouir sous terre à des kilomètres de là après forages ad hoc, après des tests en cours depuis le printemps 2009.

Jean-Pierre Birat, coordinateur européen du programme ULCOS 1 (la phase de recherche et de choix des modes opérationnels) puis d'ULCOS 2 (phase de mise en route de l'expérimentation pour laquelle les financements croisés des aciéristes, de Bruxelles et des pays européens concernés sont requis) fait partie de la division R&D d'ArcelorMittal monde basée à Mézières-les-Metz. C'est lui et son service qui ont impulsé avec leurs homologues européens de ThyssenKrupp, Tata Steel et quelques autres cette initiative écologique d'ULCOS, tout en menant de front d'autres recherches pour fabriquer de l'acier autrement, plus proprement, par électrolyse, en soumettant à de fortes charges d'électricité des volumes de minerai de fer plongés dans un liquide à base de soude, pour produire des lingots d'acier brut d'un type nouveau. Mais beaucoup plus gourmand en électricité que l'acier de la filière fonte traditionnelle.

L'autre dossier caché

Et là, il faut ouvrir l'autre dossier, celui du nucléaire, des énergies alternatives assez costaudes pour pouvoir fournir presque autant d'énergie qu'il en faut pour produire de l'aluminium, l'autre métal énergétivore, au point que presque toutes ses usines ferment les unes après les autres, en Europe et aux USA, du moins. Si vous voulez sortir de la filière fonte, il faut booster la filière électrique en la réinventant. Une petite centrale nucléaire ou une grosse centrale au charbon (décarbonnée?) pour produire quelques millions de tonnes d'acier l'an. L'autre question est celle du volume: la France produisait autrefois plus de 30 millions de tonnes d'acier par an, elle en a produit à peine la moitié l'an dernier. Nous sommes encore en-dessous de quelques points de la production de 2007, mais ça remonte petit à petit.

Résumons: la France entière a entendu à nouveau parler de "la fermeture" de Florange ce lundi, matin, midi et soir, images fortes garanties aux JT de 20h et dans les interviews ou émissions spéciales candidats (Nicolas Sarkozy le matin sur RTL, François Hollande le soir sur TF1. Avec le risque qu'à force d'entendre parler de "fermeture" par les français eux-mêmes, leaders politiques en tête, Lakshmi Mittal et son conseil d'administration finissent par décider de faire à Florange ce qui l'a été à Liège et pour une aciérie électrique proche de Madrid en février, ce dont peu de monde s'est ému chez nous.

Personne n'aura compris l'essentiel à entendre candidats et médias: Florange repartira sans doute cet été, en septembre au pire, si le regain de crise de l'eurozone s'estompe et permet à la consommation de repartir, entraînant avec elle la demande d'acier. Mais si les craintes causées par le risque imminent de mise en "défaut" de la dette souveraine grecque, additionnées au manque évident de volonté politique de fédéraliser l'Europe d'un point de vue économique et financier perdurent, alors tout est possible, même et y compris la fermeture de la phase à chaud à Florange-Hayange, où les salariés haut-fournistes d'ArcelorMittal pourront toujours se reconvertir dans les activités aval de l'acier, les lignes de production d'aciers plats revêtus, les aciers spéciaux, bref, le futur de l'acier en Europe.

Mais, s'il vous plaît, arrêtez de dire et d'écrire n'importe quoi, d'opposer de façon manichéenne l'ouvrier et le patron, le sidérurgiste en bleu et l'actionnaire à col blanc. Cela relève de la mythologie d'après la révolution industrielle. Personne n'est dupe à ce petit jeu-là. Ce n'est pas comme cela qu'on peut prétendre gagner une élection, ni conquérir quelques centaines d'auditeurs supplémentaires. En février 2009, Lakhsmi Mittal nous confiait qu'il ne voyait pas de vraie reprise pour l'acier considéré globalement avant 2014 ou 2015, le temps qu'un certain nombre de rééquilibrages aient lieu, notamment en terme de productivité comparée entre pays développés et pays émergents, d'une part, entre un éventuel regain de la demande en Europe et aux USA et une stabilisation de la croissance de la demande d'acier en Chine et en Asie, où se trouvent les moteurs actuels de ce secteur d'activités.

Christophe Journet

http://www.ulcos.org/fr


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Mis à jour (Samedi, 29 Octobre 2016 15:03)