PARIS (MPE-Média) – Nommé en décembre dernier à la présidence de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), l’ancien ministre et ex député d’Alsace François Loos a accepté de répondre à nos questions concernant les priorités de l’ADEME dans la période en cours. Entretien.

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François Loos, président de l’ADEME (ph Tristan Paviot ADEME)

MPE-Média – Quels sont les enjeux concernant le coût des énergies renouvelables, souvent supérieurs à ceux des énergies dites classiques comme l'hydraulique, le thermique ou le nucléaire ?

François LOOS – Sur ces questions, nous tenons un observatoire qui nous permet de suivre les coûts de production. Les énergies renouvelables sont bénéfiques pour l’environnement et l’emploi et contribuent à notre indépendance énergétique. Il faut également avoir à l’esprit que le prix de ces énergies baisse. Dans de nombreux pays elles ont déjà atteint la parité réseau. L’enjeu réside donc dans l’amélioration de notre savoir-faire pour gagner en qualité, afin que des filières pérennes puissent se développer sur le territoire national. En la matière, c’est sur le volet innovation que l’ADEME concentre une grande partie de ses efforts.

Qu’observe-t-on du côté des énergies photovoltaïques ?

Depuis 1976, les prix baissent de 22% à chaque fois que la production cumulée double ; l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit des coûts divisés par 3,5 entre 2008 et 2030. Dans les régions très ensoleillées (le Maroc par exemple, mais aussi ailleurs en Afrique ou dans des pays low cost) et/ou marquées par des prix de l’électricité élevés (comme le Japon, l’Italie), l’électricité sera produite à un coût inférieur au prix de vente résidentiel dès 2015. En France, ce jalon important aura lieu avant 2020. Autour de 2030, le prix sera comparable au prix de gros de l’électricité. En d’autres termes, le photovoltaïque et l’éolien terrestre voient leurs coûts baisser et à la fin des périodes d’amortissement, le coût de revient du kilowattheure devient comparable ou inférieur à celui des énergies classiques. Comment les rendre compatibles avec nos réseaux ? Les smart grids sont une réponse intéressante, là encore l’ADEME soutient l’innovation en aidant certains projets retenus dans le cadre des Investissements d’Avenir. Mais il faudra également développer les solutions de stockage : dans quels conditions stocker le jour pour une utilisation le soir? A quel(s) tarif(s) ? Cela pose la question de l’utilisation en période de pointe, des possibilités d’effacement, ou encore celle des nouveaux métiers agrégateurs de consommation d’électricité.

Que constatez-vous du côté de l’éolien terrestre ?

Si l’on en croit les chiffres 2008 de la DGEC, les coûts de production de l’éolien terrestre sont de 74 €/MWh pour les sites moyennement ventés et de 62 €/MWh pour les sites très ventés. La taille des machines évolue fortement (95 kW en 1987, 2 MW en 2005). Par comparaison, le prix de vente moyen aux particuliers en 2010 était de 62€/MWh (dont 54% en moyenne pour la part production). L’éolien terrestre est déjà proche de la compétitivité et les subventions décroîtront. Il restera nécessaire d’organiser les conditions de son accès au marché et de sa distribution. Mais il y a aussi la biomasse qui devrait elle contribuer à hauteur de 50% à l’atteinte des objectifs du Grenelle. Toutefois, les gisements de biomasse ne sont pas illimités. Il est essentiel de les utiliser le plus efficacement possible (par exemple en limitant les projets de production d’électricité pure et en se fixant des objectifs d’efficacité ambitieux). Par ailleurs, des mesures d’ampleur sont nécessaires pour mobiliser le bois disponible en forêt.

Pour l’éolien offshore, quels constats faîtes-vous dans la période en cours, avant la conclusion en avril des appels d’offres Atlantique, Manche et Mer du Nord au large des côtes françaises?

Il est difficile de prévoir exactement l’évolution à terme des coûts de l’éolien en mer. Il est certain que c’est une technologie encore onéreuse, et qu’il faudra surveiller dans un premier temps comment ceux-ci évoluent avec les premiers retours d’expérience à grande échelle en France. On peut tout de même affirmer qu’après cette phase de démarrage les perspectives de réduction des coûts apparaîtront grâce à l’augmentation des volumes et aux progrès techniques. A notre avis, l’éolien en mer a donc toute sa place dans la diversification de nos sources d’énergies, comme c’est déjà le cas pour des pays comme le Royaume-Uni ou le Danemark. Deux conditions sont essentielles pour ce développement : la qualité de la concertation avec l’ensemble des parties prenantes, et l’évaluation et le suivi des impacts environnementaux selon des méthodologies partagées et harmonisées.

Quid du solaire, du recyclage des cellules photovoltaïques, du coût du kilowatt en production?

L’ADEME suit bien évidemment de très près toute la question du recyclage des panneaux photovoltaïques, et recueillera les données issues des démantèlements à venir qui permettront d’affiner au fur et à mesure la connaissance actuelle de ce sujet. Plus largement, c’est tout le cycle de vie des panneaux que l’ADEME étudie depuis plusieurs années et continue à étudier. De leur fabrication au démantèlement, elle met à disposition un référentiel sur les méthodes à employer pour effectuer l’analyse du cycle de vie, non pas du photovoltaïque seul, mais des systèmes photovoltaïques au pluriel (différents types de panneaux, intégrés au bâti ou centrales au sol). Cette méthodologie est ce qui permettra de comparer l’impact environnemental des différents projets. L’ADEME soutient également, en particulier dans le cadre des Investissements d’Avenir, les progrès techniques et organisationnels qui peuvent être réalisés dans cette filière de la fin de vie des panneaux. Pour les coûts, je vous renvoie à la question précédente.

L'acquisition de Photowatt par EDF ENR a-t-elle fait l'objet d'un protocole d'accord programme spécial avec l'ADEME?

Au sujet d’un accord avec Photowatt / EDF EN, on ne peut rien dire de particulier au jour d’aujourd’hui, mais l’ADEME regarde avec attention ce qui peut se faire du côté des technologies photovoltaïques à haut rendement. J’ajoute que le solaire, c’est également le solaire thermique, qui est une préoccupation pour l’ADEME parce qu’il se développe encore insuffisamment. Dans des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, le solaire thermique est beaucoup plus répandu et, surtout, beaucoup moins cher. L’ADEME va donc lancer une étude afin d’identifier les déterminants de la compétitivité de cette filière, identifier les verrous, et trouver les solutions – techniques, économiques ou en matière de formation des professionnels – qui permettraient d’en diminuer les coûts.

Du côté de la mine urbaine, du recyclage et en particulier de celui des terres rares, que pensez-vous des solutions envisagées?

Nous devons faire en sorte que les filières de recyclage se développent, car nous sommes encore loin du compte. Par exemple, dans un amas de cartes électroniques, vous avez le même pourcentage d’or que dans une mine. J’ai rendu visite dernièrement au site de Noyelles-Goyault fermé par Metal-Europe et où d’anciens salariés ont créé Terra Nova pour recycler des métaux…

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Pensez-vous à une filière en particulier?

Le premier sujet, c’est les matières plastiques. L’ADEME a soutenu la mise au point de systèmes permettant aux machines de faire le tri entre les différentes sortes de matières plastiques. Sur le recyclage des automobiles il y a énormément à faire ! Si vous avez une casse auto à côté de chez vous, vous verrez qu’on ne recycle pas à 100%. Il y a encore beaucoup à valoriser.

Pour toutes ces filières, on peut regarder d’une part les quantités collectées, et d’autre part le taux d’utilisation de matières premières de recyclage (MPR) dans la production nationale. Depuis plusieurs années, ces taux d’utilisation de MPR sont globalement à la hausse mais on peut noter en particulier les tendances suivantes :

- Pour les métaux ferreux (comme l’acier), les quantités collectées augmentent mais les quantités recyclées ont baissé dernièrement (dans un contexte de baisse de la production totale).

- Pour les métaux non ferreux en revanche les quantités recyclées ont augmenté et le taux d’utilisation de MPR dépasse désormais 45%.

- Pour les plastiques, industrie plus récente dans le monde du recyclage, la situation est à peu près stable mais le recyclage ne représente encore que 5% de la production de nouveaux plastiques.

- Pour les papiers et le carton, la situation est inverse, c’est la filière où le recyclage est le plus important, les quantités collectées sont stables ainsi que le taux d’utilisation de MPR dans la production qui est de 60%. Par exemple, ce qui est intéressant chez Paprec, le leader français, c’est que le raisonnement donne un prix à la matière qui est achetée, valorisée, revendue. C’est ce changement qu’il faut saluer, reconnaître.

- pour le verre enfin, en 2010 la collecte a très légèrement augmenté par rapport à l’année 2008 ; le taux d'utilisation de MPR poursuit quant à lui son augmentation pour atteindre 49,5 % dans un contexte ou les quantités totales produites ont sensiblement baissé.

Vous avez réalisé l’an dernier pour l’Assemblée Nationale un important rapport consacré aux conditions d’accès aux matières premières, en tant que député. Que préconisez-vous à présent à ce sujet?

La croissance extraordinaire de la Chine a changé la donne pour l’accès aux matières premières. Nous avons face à nous un nouveau géant, un énorme consommateur. L’autre leçon, c’est que la confiance dans le marché disparaît dans ces domaines. Nous ne sommes plus dans une logique d’accès facile aux ressources, les contraintes portent sur l’approvisionnement, sur l’offre primaire. Ceux qui le peuvent s’achètent des réserves pour anticiper, et les banquiers achètent les réserves au cas où les prix monteraient. C’est une spirale dangereuse !

Participez-vous aux travaux du Comité des Métaux Stratégiques notamment concernant la criticité d’accès et le recyclage des terres rares?

L’ADEME participe effectivement aux travaux du COMES, installé par Eric Besson voici un an, et en particulier au groupe de travail intitulé « R&D dans les économies de matière, de substitution, de récupération et de recyclage ». Les travaux de ce comité stratégique continuent mais un point d’étape important a été marqué en décembre dernier, avec les premières recommandations. Jusqu’ici, le groupe de travail auquel participe l’ADEME s’est surtout concentré sur les questions du recyclage et de la mobilisation des gisements. Nous abordons désormais les thèmes des économies de matières premières et de leur substitution :

- Accompagner le développement des filières REP (DEEE, VHU, piles et accumulateurs) pour la valorisation des métaux stratégiques.

- Favoriser et fluidifier les échanges entre acteurs responsables et traquer les filières non responsables.

- Mobiliser les acteurs publics et privés de la recherche autour de la thématique du recyclage des métaux stratégiques.

Sur ce dernier point, l’ADEME, qui a lancé en 2011 un AMI sur la valorisation des déchets « Collecte, tri, recyclage et valorisation des déchets », a pu constater que les projets innovants étaient très nombreux (plus de 30 projets déposés, dont plusieurs sur les métaux stratégiques, record de l’ADEME pour un seul AMI), mais qu’en même temps la coopération entre acteurs publics et privés de la recherche était faible.

Merci pour ces réponses. Qu’auriez-vous envie d’ajouter qui puisse déterminer des conduites nouvelles dans l’industrie et notre société?

Il faut apprendre à regarder l’ensemble du cycle de vie d’un produit. Il ne faut pas remplacer une dépendance par une autre, en passant du pétrole à une autre ressource. Il faut faire plus attention au cycle complet, et comprendre que ce que nous appelons déchet a souvent énormément de valeur si la filière de recyclage existe en aval. Il faut aller de plus en plus vers l’éco-conception et l’écologie industrielle, à ce titre un AMI est en cours à l’ADEME « Biens et services éco-conçus et écologie industrielle » et sera clos en mai prochain. Tous les acteurs concernés sont appelés à se mobiliser et déposer des dossiers. Il y a deux autres sujets clé: la mobilité urbaine et les productions décentralisées d’électricité avec l’éolien et le solaire qui vont arriver à des prix compétitifs dans de nombreux pays du monde. Cela va changer la donne.

Propos recueillis par Christophe Journet

 

Rio + 20 : François Loos pose les jalons pour « l’OME »

PARIS (MPE-Média) - Le sommet qui se tiendra à Rio de Janeiro du 20 au 22 juin – 20 ans après le Sommet de la Terre de 1992 - est une occasion unique pour proposer, à l’échelle internationale, un mode d’organisation innovant, adapté aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques. La France souhaite pour sa part que soit actée à « Rio+20 » la mise en place d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME).

« Se poser la question d’une organisation internationale/mondiale de l’environnement est en soi problématique. Sachant qu’il existe une telle organisation pour la santé, le commerce, le travail ou la propriété industrielle, l’environnement le mérite bien davantage.» a affirmé François LOOS, Président de l'ADEME, lors de la conférence internationale « Vers une nouvelle gouvernance mondiale de l'environnement » qui a eu lieu en janvier à Paris à l'initiative du Quai d’Orsay.

C.J.

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Mis à jour (Jeudi, 27 Octobre 2016 14:44)