PARIS (MPE-Média) – Les hausses récentes des prix des matières premières, qu’il s’agisse des dérivés du pétrole ou des métaux à haute valeur ajoutée, reposent d’une façon nouvelle la question de la répercussion de ces augmentations en aval, vers l’ensemble des portefeuilles clients. Spécialiste du conseil en stratégie dans l’industrie, Franck Brault soutient une force de vente axant son discours sur la valeur, plutôt que l’augmentation des volumes sacrifiés à trop bas prix, nuisibles à la pérennité de l’entreprise. Entretien.

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Franck Brault, associé chez Simon-Kucher & Partners à Paris (ph CJ MPE-Média)


En tant qu’associé de Simon-Kucher & Partners à Paris (SKP), comment traitez-vous la question de l’achat des matières premières industrielles et de la fixation des prix produits en aval, corrélée à la volatilité et à l’instabilité actuelle des prix?

SKP suit la thématique des matières premières pour ses clients industriels, dans l’ensemble de la chaîne de valeur : des plasturgistes automobiles, des cabliers, par exemple, sont plutôt dans de bonnes pratiques, alors qu’il existe encore des segments où certaines matières pèsent jusqu’à 20% du coût global produit, sans recours à l’indexation et sans sécurité pour les marges. Les achats de la plupart de ces groupes sont bien gérés. Chimistes et utilisateurs de produits finis savent se couvrir avec plus ou moins de sophistication. En aval, c’est plus difficile : comment vont-ils contrer l’impact de la hausse des matières premières? C’est là qu’on entre dans le domaine du savoir-faire commercial, marketing, juridique et achat. Nous considérons donc les actes amont et aval comme une continuité essentielle à la réussite de l’entreprise face à la problématique des matières premières.

 

Qu’en est-il généralement dans l’industrie en 2012? Dans l’automobile, par exemple?

Les grands groupes automobiles européens ont souvent mis en place deux budgets achats distincts : un budget matières premières et un budget efficience, économie générale. D’un côté, ils cherchent la productivité, de l’autre, ils gèrent une masse d’achats à optimiser pour tenter de réguler les impacts des coûts matières. De plus en plus d’industriels séparent ces budgets. On ne parle pas assez du poste transports, pour lequel les industriels ne se couvrent pas, ou du moins pas assez. Prenez le Baltic Dry Index, il a varié dans des rapports de 3 à 1 en début d’année. Dans certains cas, vous pouvez avoir du transport à prix cassés sur certains axes, ce qui crée des effets d’aubaine pour des importateurs à l’affut.

 

Qu’observez-vous d’intéressant chez les aciéristes dans leur mode de fixation des prix?

Les aciers sont intéressants à observer dans la méthode de fixation des surcharges d’alliages pour les inoxydables, pour celle des coûts logistiques, ou encore des intrants de l’acier. Leur approche de pricing dynamique consiste à s’affranchir autant que possible des éléments qu’ils ne maîtrisent pas directement. A bien des égards, elle pourrait être source d’inspiration pour certains groupes industriels, trop ancrés dans une gestion statique des prix de vente.

 

Les entreprises de la plasturgie sont confrontés en 2012 à une hausse inédite et probablement sans retour des prix du pétrole, leur matière première de base. Que conseillez-vous à ces professionnels?

Avant tout, nous conseillons à nos clients de « muscler » solidement leurs équipes commerciales pour parvenir à faire passer les hausses en aval. Entre une hausse de 5% d’effet prix et perdre quelques volumes, le choix semble toujours évident. Pourtant c’est dans les détails de ces hausses ou de ces sécurisation des volumes que le succès ou l’échec de la stratégie commerciale se croisent. Pour certains procédés en chimie, on ne peut pas opérer en-dessous de 80% d’utilisation des capacités, c’est entre 80 et 90% que la marge va se consolider et peut être optimisée. Dans cette fourchette, il y a souvent nettement plus de marge de manœuvre que ce que les entreprises imaginent, et dès lors on constate un vrai potentiel d’amélioration de leur rentabilité long terme.

 

En terme de solutions, que préconisez-vous dans cette situation?

Dans de nombreux cas, il vaut mieux piloter les volumes par le prix. Regardez les communiqués de presse des véritables leaders industriels : post-crise, ils ont déclaré avoir retrouvé un certain volume d’affaires sur les marchés industriels cœur européens et export. Ils ont communiqué clairement sur les hausses des matières premières, annoncé des hausses de prix, sécurisé leurs clients stratégiques et appliqué un véritable « pricing power ». Cela suppose un engagement fort des directions générales dans cette démarche en sus d’un processus commercial particulièrement robuste.

 

Retour au point de départ, donc, meilleure formation des commerciaux et fin du cost killing?

Le plus actuel, le plus urgent n’est pas de se précipiter sur la fonction achats en leur disant qu’ils achètent mal ou qu’ils ont mal anticipé ce que personne n’arrive à modéliser par ailleurs, mais bien d’aller au secours des équipes commerciales. Dans un cas récent, le meilleur vendeur, vingt ans de maison, nous a dit qu’étant dans des situations aussi extrêmes qu’aujourd’hui, il se sentait souvent « bien seul face à son client quant il s’agit d’argumenter sur les hausses matières ».

 

Vous pensez qu’il est possible de réussir des stratégies pour faire passer ces hausses de prix sans lesquelles les entreprises vont voir se réduire leurs marges?

Pour de nombreux industriels qui opèrent à marge réduite, c’est tout simplement une condition de survie. Le fait de dégager des profits n’assure jamais que la possibilité de survivre, d’exister durablement dans un marché et de pérenniser par la même occasion une activité et les emplois qui y sont associés. C’est ce cercle vertueux qui est souvent mal compris, et encore plus souvent caricaturé comme étant une simple recherche de profits à tout prix.

Propos recueillis par Christophe Journet


Partner de Simon-Kucher & Partners (Bureaux de Paris)

Diplômé du MBA HEC, Franck Brault conduit, depuis plus de 10 ans, des missions dans les secteurs suivants : Produits industriels et high-tech, Chimie, Transport & Logistique, principalement pour des entreprises françaises et européennes. Il est spécialiste de la définition de stratégies de croissance, et des enjeux marketing et pricing. Co-auteur d’un ouvrage de synthèse sur les problématiques de prix, La Stratégie Prix, chez Dunod, il publie régulièrement dans la presse économique. Consultant européen, SKP a été classé dans le top ten du genre en janvier 2012 par l’agence Vault.

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Mis à jour (Jeudi, 27 Octobre 2016 13:48)