PARIS (MPE-Média) - La visite du PDG d'ArcelorMittal hier après-midi à L'Elysée où M. Lakshmi Mittal a été reçu quelques instants en tête à tête avec le Président de la République pour évoquer le devenir de la phase à chaud de Florange (Moselle) ainsi que les propos de "déclaration de guerre" du Ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg au même moment devant la Mairie de Florange face à des sidérurgistes mécontents de l'inefficacité des politiques publiques successives depuis un an laissent une impression de déjà vu : celle d'une impossible entente entre des mondes qu'opposent des logiques non compatibles. Humeur.

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Lakshmi Mittal à Luxembourg, siège de la holding. Le PDG d'ArcelorMittal déclarait déjà en 2009 qu'il ne voyait pas de sortie de crise avant 2014 au plus tôt, "car c'est un problème de compétitivité des aciéries européennes qu'il faut traiter" (ph archives CJ MPE-Média)

Peu de choses ont filtré du contenu réel de l'échange entre M. Lakshmi Mittal, PDG du géant de l'acier basé à Luxembourg (siège de la holding) et à Londres (bureaux du PDG et de son staff mondial), et M. François Hollande, Président de la République, hier après-midi, l'Elysée s'étant contenté d'un communiqué succinct envoyé à l'Agence France Presse pour dire qu'un échange avait eu lieu à propos du devenir du site industriel de Florange (Moselle) et de ses deux hauts-fourneaux P3 et P6 arrêtés respectivement depuis l'été et l'automne 2011, suite à la baisse de la demande en acier en Europe, explique le groupe et sa filiale ArcelorMittal Atlantique Lorraine (AMAL).

Mais le caractère très ferme des propos simultanés du Ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg s'adressant aux salariés depuis les marches de la Mairie de Florange, disant vouloir tenir "un bras de fer" avec l'aciériste et annonçant aux personnels qu'une réunion avait lieu lundi prochain à Paris où le groupe comptait annoncer aux délégués du personnel la fermeture des hauts-fourneaux actuellement mis en sommeil à titre provisoire laisse dubitatif.

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Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif, face à la presse nationale en juin dernier : "j'irai voir mes homologues européens afin que nous nous concertions pour adopter une réponse commune face à ArcelorMittal" (ph CJ MPE-Média)

En effet, c'est méconnaître la réalité du marché mondial de l'acier - et de nombre d'autres matières ou commodités - que de croire que la relance d'outils de cette nature peut être décidée sans tenir compte de la réalité des ventes des produits qui en découlent, la Chine elle-même changeant de mode de réponse en décidant depuis peu de faire fermer des aciéries dont les surcapacités ont fait s'écrouler les prix de l'acier domestique chinois et ont ajouté aux difficultés des aciéries européennes en inondant le marché global d'exportations discount parfois tentantes pour les acheteurs de l'UE, malgré des délais de livraisons assez longs.

La proposition de racheter pour un euro symbolique les hauts-fourneaux mosellans pour que l'Etat réinvestisse dans le site et trouve ensuite un repreneur à l'activité commence à être perçue comme un leurre post-électoral par une partie des syndicalistes qui craignent à présent de s'être laissés abuser par des promesses de campagne. Les salariés mosellans viennent de prendre connaissance de la décision de fermer les hauts-fourneaux de Liège, en Belgique, puis plus récemment celle de fermer aussi les usines de laminage à froid voisines, ArcelorMittal n'ayant pas trouvé de terrain d'entente avec les syndicats belges sur le devenir des sites liégeois de production d'acier pour l'automobile.

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L'évolution de la production d'acier brut en Europe depuis 2008, pays par pays, permet de mieux comprendre le problème de Florange en le resituant dans son contexte de marché (source Eurofer 2012)

Quand bien même le récent rapport Faure rendu fin juillet redonnait de l'espoir en faisant la preuve que des fermetures d'aciéries coûtent plus cher aux groupes qui les ferment que leur maintien en service à basse capacité, afin de pouvoir les relancer lorsque le marché et la demande se reprennent, les annonces publiques du ministre sont perçues par les professionnels de la métallurgie comme des rodomontades, voire comme "des propos d'avocat". Pas comme l'amorce d'une solution viable pour la survie d'un site pour lequel d'importants investissements de maintenance, de remise à niveau et de réorganisation tant technologique que sur le plan des ressources humaines semblent inévitables.

Au printemps dernier, l'agence de notation Standard & Poor's avait dégradé la note d'ArcelorMittal en estimant que le ratio de sa dette comparée à son EBITDA avant charges et amortissements devait se rétablir sur le plan global avant que cette appréciation importante pour les investisseurs puisse être relevée à nouveau d'un cran, dans le meilleur des cas "à la faveur d'une embellie économique possible à la fin 2012 ou au début 2013, si les problèmes de la zone euro commençaient à trouver leur solution". Or c'est encore loin d'être le cas.

Aller vers des aciers à plus haute valeur ajoutée

Toutefois, rien n'interdit de penser que la fermeture définitive - encore non confirmée - des capacités de Liège ne finisse par profiter aux lignes à froid de Florange, dont la survie n'est pas en cause et qui pourraient du coup voir leur cahier des charges augmenter d'une partie des commandes jusqu'ici passées en Belgique. Enfin, Lakhsmi Mittal nous confiait en 2010 qu'il n'excluait pas de réinvestir dans ses usines européennes "dès que la crise sera derrière nous dans les pays développées", tout en faisant évoluer la nature des produits fabriqués en Europe vers des références d'acier à plus haute valeur ajoutée.

Quoiqu'il en soit, la meilleure des assurances pour le devenir de la sidérurgie française serait l'hypothèse d'une reprise douce des ventes du secteur automobile dès la fin des tensions engendrées par la crise des dettes souveraines de l'Europe du sud et de la perte du pouvoir d'achat qui en est la conséquence dans plusieurs pays dont la France. Et là, ni M. Mittal ni les syndicats ne peuvent remplacer les politiques au moment où d'importantes décisions sont à prendre à Bruxelles pour sortir la vieille "Communauté européenne du charbon et de l'acier" de ses contradictions congénitales en créant l'Europe fédérale et dotée d'un réel pouvoir économique et financier, seule susceptible de rassurer les marchés globaux et de favoriser un nouvel élan de la demande réelle d'acier et de nombreux autres produits. Mieux qu'un bras de fer avec le géant de l'acier, une action dans ce sens du gouvernement français semble seule de nature à sauver Florange, Hayange, mais aussi Fos-sur-Mer et Dunkerque encore à l'abri du risque de fermeture et qui produisent à elles seules près de 90% de l'acier made in France.

Christophe Journet

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Mis à jour (Lundi, 24 Octobre 2016 16:15)